Allocation d’existence: de la redistribution verticale vers une redistribution horizontale

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Les contempteurs du revenu universel d’existence tue le débat avec l’évocation du coût exorbitant de sa mise en œuvre à l’échelle du pays. Ainsi pour un revenu de base de 1000 € pour les 68 millions d’habitants ce serait 816 milliards par an que l’État devrait débourser. Totalement impensable en effet.

La difficulté est que le problème est ici mal posé. Cet argumentation fallacieuse repose sur l’idée que l’État devrait allouer à tous les citoyens un revenu de base financé par l’impôt dans le cadre d’une redistribution verticale. En réalité il s’agit de substituer à cette redistribution par l’État une redistribution horizontale fondée sur le principe de solidarité universelle où chacun reçoit ce revenu de base et en même temps contribue en fonction de ses moyens en revenus et patrimoine.

Redistribution verticale: l’État tente de redistribuer ce qui mal distribué.

Après quarante années de politique économique libérale, les trous dans la raquette de la distribution de la richesse par la rémunération du travail sont de plus en plus nombreux. Pour tenter de venir en aide à toutes les victimes de ce système économique, l’État et les collectivités locales, par l’impôt, financent des minima sociaux( RSA, ASPA), des aides aux familles, des aides au travail pour le salarié (prime d’activité) et pour l’employeur (CICE, réduction Fillon). Aujourd’hui il existe plus de 50 aides non-contributives différentes, ciblées qui absorbent plus de 100 milliards d’euros, soit largement le montant de l’impôt sur le revenu payé par moins de la moitié des foyers fiscaux et de ce qui reste de l’ISF rebaptisé IFI.

Cette redistribution curative, à postériori, conditionnée, stigmatisante, familiarisée ne réussit pas à s’attaquer aux causes de la pauvreté et laisse autour de 10 millions de personnes sous le seuil de pauvreté dont plus de 2 millions de travailleurs. Par la complexité des procédures, de nombreux allocataires ne perçoivent pas ce à quoi ils ont droit. Lorsque les aides diminuent ou disparaissent quand les revenus d’activité augmentent ces « aides sociales  » constituent aussi une véritable trappe à l’inactivité et à l’assignation à résidence. Enfin et surtout elle divise la société en sous citoyens, les ayants-droits d’un côté, condamnés à vivre de la charité publique, et les contributeurs de l’autre, pendant qu’une minorité fait sécession à coup d’optimisation fiscale, ce qui induit amertume, ressentiment, méfiance et repli sur soi. D’une république unie et indivisible on passe progressivement à une république fragmentée façon puzzle.

Le système des aides sociales, c’est le moyen de faire taire les classes laborieuses qui prennent de plein fouet les ravages du capitalisme mondialisé.  C’est ce qu’écrivait déjà en 1907, Simmel, philosophe et sociologue allemand. [1]

Que faire ? Beaucoup d’organisations d’entraide et de solidarité réclament un revenu minimum garanti pour les plus démunis. C’est une première étape urgente, nécessaire mais il faut être plus ambitieux. Car un système qui n’aide que les pauvres creuse encore l’écart qui les sépare du reste de la société. Une politique pour les pauvres est une pauvre politique observe Richard Titmuss, théoricien de l’État social britannique. 

Deux sociologues suédois ont montré que les pays où les programmes gouvernementaux étaient le plus universels étaient ceux qui réduisaient le mieux la pauvreté. Les gens sont plus ouverts à la solidarité quand elle leur profite personnellement.

Nancy Fraser dans : « Qu’est-ce que la justice sociale ? » ouvre la voie: « Les remèdes correctifs à l’injustice sont ceux qui visent à corriger les résultats inéquitables de l’organisation sociale sans toucher à leurs causes profondes. Les remèdes transformateurs, pour leur part visent les causes profondes. » (…) « Combinant systèmes sociaux universels et imposition strictement progressive, les remèdes transformateurs, en revanche, visent à assurer à tous l’accès à l’emploi, tout en tendant à dissocier cet emploi des exigences de reconnaissance. D’où la possibilité de réduire l’inégalité sociale sans créer de catégories de personnes vulnérables présentées comme profitant de la charité publique. Une telle approche, centrée sur la question de la distribution, contribue donc à remédier à certaines injustices de reconnaissance. »

Redistribution horizontale: Tout le monde reçoit et tout le monde contribue

En partant du constat paradoxal suivant qu’il existe 10 millions de pauvres sous assistance de l’État et que, dans le même temps, l’ensemble du corps social est très riche : 1 600 milliards de revenus primaires et plus de 13 400 milliards de patrimoine,[2] rapport entre revenus et patrimoine inégalé depuis la fin du XIX°, sans perdre de vue le combat pour rééquilibrer en faveur du travail le partage de la valeur ajoutée, on peut dès à présent changer de pied en substituant à la redistribution actuelle, faite d’aides sociales organisée par l’État – dont le montant est supérieur au montant de l’impôt sur le revenu – une redistribution universelle horizontale transformatrice, préventive et inclusive administrée par une branche de la Sécurité sociale.

Le premier du mois on reçoit de quoi vivre décemment, en même temps on contribue en fonction de ses propres moyens ( rémunération du mois précédent, patrimoine accumulé jusqu’à ce jour) au financement de cette allocation d’existence.

Il n’en coûterait rien au budget de l’État puisqu’il n’aurait plus à venir en aide à tous les victimes du système économique et ainsi il pourrait se dispenser de lever l’impôt sur le revenu (I.R.) et l’I.F.I.

Globalement il n’en couterait rien aussi à l’ensemble du corps social puisqu’il s’agit d’une redistribution interne parmi l’ensemble des citoyens. Le transfert des plus riches vers les plus pauvres ne dépendant que du niveau des inégalités. Comme avec un jeu de 32 cartes au lieu de concentrer les cartes maîtresses dans une seule main, il s’agit au début de la partie de distribuer à chacun des joueurs un atout maître pour donner la même chance de gagner à chacun des protagonistes.

L’exemple suivant limité à 5 personnes avec un revenu de base de 1000 €, sans être une une proposition exhaustive, illustre parfaitement la différence entre redistribution verticale et redistribution horizontale.

Tableau 1 : Redistribution verticale par l’État

L’État distribue aux deux personnes les plus pauvres des aides sociales conditionnées aux revenus (1500 €) , aides fiancées par l’impôt sur les deux personnes les plus riches ( 1500 €).

Tableau 2 : Redistribution horizontale

A la fin du mois on met dans un pot commun en fonction des revenus de chacun ( 5000 € ) de quoi distribuer 1000 € par personne le premier du mois suivant. Le revenu global de l’ensemble du groupe ne change pas ( 10 000 € ). Le transfert des plus riches vers les plus pauvres est le même que le cas précédent ( 1500 €).

Dans ce cas il n’y a plus de stigmatisation, tout le monde reçoit de quoi assurer les conditions concrètes d’existence de manière préventive comme une véritable « avance sur recette ». A chacun de jouer sa partition pour créer de la richesse, en fonction de ses goûts et de ses compétences.

Le système curatif actuel où l’État n’intervient que lorsque l’on est victime de la précarité ou de la pauvreté est beaucoup plus douloureux et coûteux pour l’ensemble de la communauté. Il y a le coût direct de l’intervention de l’État en minima sociaux, aides aux familles, aides à l’emploi qui est déjà supérieur au recettes de l’impôt sur le revenu de l’I.F.I, il y a le coût de fonctionnement de l’administration de ces aides avec les nécessaires contrôles, il y a surtout les conséquences de la précarité et de la pauvreté sur l’ensemble de la société avec le développement des addictions, des maladies comme l’obésité, le diabète, etc…, le développement d’une économie criminelle et surtout l’incapacité pour toutes ces victimes de développer leur capabilité [3], d’être un acteur social dans la communauté politique et de créer aussi de la richesse.

Non seulement cette allocation universelle ne coûterait rien , elle serait aussi source d’économies dans les dépenses multiples pour tenter de soigner la société de tous ces maux. En libérant chacun et chacune de cette incertitude du lendemain qui nous « prend la tête » elle serait aussi un véritable investissement pour permettre à l’intelligence humaine de s’épanouir pleinement dans des activités choisies.

Il s’agit donc de substituer à la conditionnalité des aides d’État, qui assujettissent et divisent la société en ayants droit et contributeurs, la redevabilité naturelle de tous les membres à la communauté, qui, avec cette allocation universelle, ont les moyens de contribuer au bien commun pour garantir ce droit à l’existence.

Les hommes vivent et ne peuvent vivre que sur l’idée qu’ils ont quelque chose en commun où ils peuvent toujours se retrouver (…) un lieu commun où les hommes ont une solidarité toute prête. Albert Camus, Extrait de conférences et discours (1936-1958)



[1] Cité par Alice Zeniter dans Comme un empire dans un empire » Éditions Flammarion – 2020.


[2] INSEE: https://www.insee.fr/fr/statistiques/5432491?sommaire=5435421 https://www.insee.fr/fr/statistiques/5430978

[3] Une « capabilité » est, suivant la définition qu’en propose Amartya Sen, la possibilité effective qu’un individu a de choisir diverses combinaisons de « mode de fonctionnement ». Les « modes de fonctionnement » sont par exemple se nourrir, se déplacer, avoir une éducation, participer à la vie politique. Nicolas Journet synthétise le concept d’Amartya Sen en indiquant que la « capabilité » est « la possibilité pour les individus de faire des choix parmi les biens qu’ils jugent estimables et de les atteindre effectivement ». Il affirme que ce terme de « capabilité » contient, à lui seul, l’essentiel de la théorie de la justice sociale développée par Amartya Sen, et que « son écho auprès des instances internationales et des acteurs du développement humain en fait aujourd’hui une des raisons pour lesquelles le développement d’un pays ne se mesure plus seulement à l’aide du PIB par habitant » Wikipédia

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2 commentaires pour Allocation d’existence: de la redistribution verticale vers une redistribution horizontale

  1. jean noel marzo dit :

    Bonjour Guy, je comprends ton approche, mais si le financement d’un revenu de base s’appuie, même partiellement, sur une assiette incluant les revenus de la personne, il sera toujours aisé de savoir qui y gagne et qui y perd, et donc encore diviser la société entre contributeurs et « assistés ». Faire payer les entreprises revient au même d’ailleurs, le prix de revient d’une marchandise prend nécessairement en compte le coût du travail, ce sera donc encore en partie par les salaires (mais ce sera moins visible) que l’allocation universelle sera financée. La proposition d’un financement partiel (50% par exemple) par une* taxe sur la consommation*, quelle que soit son nom s’apparente dans une certaine mesure à une « taxe robot » puisque liée au chiffre d’affaire d’une société, indépendamment du nombre de ses salariés (d’autant moins nombreux à production égale si l’automatisation est importante). Nous sommes évidemment d’accord sur la partie financement par le capital personnel (ISF progressif sur tous les biens) s’agissant là d’une urgence démocratique … à partir d’un certain niveau, la propriété achète du pouvoir, nous en avons la démonstration tous les jours. Merci pour tes réflexions toujours utiles Inconditionnellement Jean-Noël

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  2. Bonjour Jean Noël, L’objectif de l’article est de montrer que l’on peut mettre en oeuvre un RUE, ce bien commun, par la solidarité de toutes et tous et en finir avec l’argument fallacieux du coût exorbitant de ce RUE. Mais il existe aussi d’autres modes de financement, la TVA est une possibilité.

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