Services publics ET revenu de base, un duo émancipateur »

Le site d’information Médiapart a produit une série d’articles sur les services publics qui, à partir de l’état désastreux des services non marchands existants et après plusieurs décennies de casse sociale, propose d’en faire un véritable projet de société. Le dernier article de Romaric Godin intitulé  » le revenu de base ou l’envers des services publics  » dans un entretien avec Daniel Zamora Vargas ( 1) oppose logique libérale de l’allocation universelle en cash et logique citoyenne des services publics.

Loin de contester le rôle fondamental des services publics à la fois dans la satisfaction de besoins universels comme dans leur puissante fonction de redistribution, ceux-ci, dans la société marchande, ne peuvent couvrir tous les besoins que tout être humain doit satisfaire quotidiennement où qu’il soit, quoiqu’il fasse; c’est pourquoi nous n’opposons pas ces deux concepts mais au contraire nous en faisons les deux piliers d’un même projet émancipateur.

Avec le revenu de base il s’agirait désormais d’être libre dans le marché, plutôt que d’être libre du marché. » ? (2)

Aujourd’hui nous sommes à la fois loin d’être libres dans le marché et d’être libérés du marché. Quatre décennies de politiques néolibérales ont porté des coups sévères à la fois dans les services publics comme dans la rémunération du travail. La mise en concurrence des travailleurs du monde entier, l’uberisation de l’économie ont transformé une partie du salariat en précariat, pendant que dans le partage de la valeur ajoutée la part de la rémunération du capital s’est accrue. Devant une distribution de la richesse par le travail de plus en plus erratique, l’État redistribue par l’impôt des aides en cash à ceux qui n’arrivent plus à vivre décemment. Ces aides sont conditionnées, ciblées, complexes à mettre en œuvre, surtout elles assujettissent les individus et divisent la société en d’une part le monde des assistés et d’autre part ceux qui s’en sortent tant bien que mal en vendant leur force de travail. Ces aides non contributives, curatives, ne réussissent pas à sortir de la pauvreté plus de 9 millions de personnes en France.

« Le système des aides sociales, c’est le moyen de faire taire les classes laborieuses qui prennent de plein fouet les ravages du capitalisme mondialisé. » Ainsi s’exprimait déjà en 1907 le philosophe allemand Simmel.

Comment faire? Les services publics peuvent-ils à eux seuls assurer l’ensemble des besoins universels que tout être humain doit satisfaire? Si l’accès gratuit aux soins, à l’instruction, la gratuité de services comme les transports, d’ une quantité d’énergie, d’eau, etc.., tous ces services qui répondent à un cahier des charges national, sont des objectifs à atteindre, ils ne permettront jamais de répondre à tous les besoins universels à dimension plus individuelle. Ainsi un salarié correctement rémunéré peut se loger, manger, se vêtir, jouir du temps libre suivant ses goûts et sa personnalité alors qu’une personne sans ressources, dépendante des seuls services publics, ne jouira jamais de la même liberté, ni de la même considération. Une extension des services non marchands à tous les besoins élémentaires universels n’est pas possible sans verser dans une économie totalement administrée. On peut concevoir une sécurité sociale alimentaire allouant individuellement une certaine somme pour se nourrir correctement et sainement, sans aller vers une prescription de produits spécifiques gratuits.

Doit-on choisir par exemple entre les allocations familiales universelles et inconditionnelles et un service gratuit de crèche? les deux sont nécessaires car ils ne répondent pas aux mêmes besoins. La crèche, le service public de la petite enfance offrent un service dont le cahier des charges est identique en tout lieu à l’échelle de la nation, les allocations familiales répondent à des besoins certes universels pour l’enfant mais accommodés et ajustés suivant la propre expertise de chaque famille.

L’allocation universelle d’existence doit s’intégrer dans un projet de Sécurité sociale universelle dans l’esprit de l’exposé des motifs de la loi de 1945 :« La sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain, de cette incertitude constante qui crée chez eux un sentiment d’infériorité et qui est la base réelle et profonde de la distinction des classes entre les possédants sûrs d’eux-mêmes et de leur avenir et les travailleurs sur qui pèse, à tout moment, la menace de la misère. …Envisagée sous cet angle, la Sécurité sociale appelle l’aménagement d’une vaste organisation nationale d’entraide obligatoire qui ne peut atteindre sa pleine efficacité que si elle présente un caractère de très grande généralité à la fois quant aux personnes qu’elle englobe et quant aux risques qu’elle couvre. Le but final à atteindre est la réalisation d’un plan qui couvre l’ensemble de la population du pays contre l’ensemble des facteurs d’insécurité. »

Pour débarrasser les travailleurs de cette incertitude du lendemain, le philosophe marxiste Daniel Bensaïd souligne cette nécessaire socialisation d’une part des revenus :

«Alors que l’intermittence du travail et l’exigence de formation continue tendent à se généraliser, le salaire demeure la rémunération du temps abstrait de travail mesurable.  La division sociale complexe du travail devrait pourtant permettre une socialisation accrue du revenu et une extension des solidarités. Ce serait le sens d’un revenu universel garanti ou d’un salaire social déconnecté du travail, non dans sa version libérale d’une aumône de survie mais dans une logique du droit à l’existence et de l’extension des domaines de gratuité. » ( 3)

Dans le cadre du marché ce revenu de base socialisé en numéraire n’est pas unique, outre le salaire net, il existe d’autres formes de salaire socialisé : la pension de retraite, l’allocation chômage, les allocations familiales ; il est légitime que chacun et chacune , quelle que soit sa situation puisse subvenir à ses besoins individuels élémentaires dans une totale indépendance.

Enfin, contrairement à ce qu’affirme Daniel Zamora Vargas les propositions de revenu de base suffisant ne sont pas inabordables. Suivant le principe de solidarité universelle où tout le monde contribue en fonction de ses moyens en revenu comme en patrimoine, l’ensemble du corps social est suffisamment riche ( 1600 milliards de revenus et 14 800 milliards de patrimoine net privé ) pour allouer un revenu d’existence qui permette à chacun et chacune de ne jamais être en-dessous du seuil de pauvreté ( 60 % du revenu médian ) et ainsi d’en finir avec les aides de l’État stigmatisantes financées par l’impôt ( 4). Le 1er du mois on reçoit de quoi vivre décemment et en même temps on contribue suivant sa condition du mois précédent. Il y aura des contributeurs nets, solidaires de fait avec les plus démunis. Les transferts des plus riches vers les plus pauvres ne dépendant que du niveau des inégalités. Il s’agit ainsi de créer au sein de la Sécurité sociale une nouvelle branche du droit au revenu et de réorganiser les autres branches pour aller vers une couverture maladie à 100 % et un droit à une pension de retraite universelle associé à un système de retraite par répartition et ainsi en finir avec les assurances complémentaires privées et les systèmes individuels de retraite par capitalisation.

La phrase de Steve jobs dans le même article de Romaric Godin : « Très souvent, expliquait-il, les gens ne savent pas ce qu’ils veulent avant qu’on leur montre. » est particulièrement cynique et condescendante. S’il est vrai que le marché ne répond pas toujours à des besoins existants, qu’il participe à les constituer, à les orienter, on ne peut priver personne de son libre choix, de sa pleine responsabilité dans les actes du quotidien et en particulier dans sa quête de satisfaction des besoins personnels essentiels. Si les services publics ( de l’éducation et de l’information ) doivent lui donner tous les moyens pour faire les choix les plus judicieux pour le bien commun dans une logique citoyenne, on ne peut le soustraire de son libre arbitre en le privant de ce moyen d’échange qu’est le cash distribué à la fois par un revenu universel d’existence, un salaire, une pension de retraite ou une allocation chômage.

Il ne peut y avoir de liberté ni de démocratie réelle sans égale considération, sans égalité des droits humains et sans la solidarité des uns envers les autres pour garantir l’égale participation à la vie sociale et politique de l’ensemble des citoyens. L’allocation universelle en cash avec les services publics sont les deux piliers de l’émancipation individuelle, pour nous donner les moyens d’affronter la nécessaire transition écologique et les mutations en cours dans le monde du travail, pour être libre dans le marché et pouvoir un jour aussi se libérer du marché.

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(1) Auteur avec Anton Jäge de l’ouvrage Welfare for Markets (258 pages, 32,5 dollars, non traduit en français)

(2) Citation de Daniel Zamora Vargas dans l’article

(3) Daniel Bensaïd Éloge de la politique profane, Éditions Albin Michel, 2008, p. 49

(4) Lire l’article :  » Pour une sécurité sociale vraiment universelle »

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Un commentaire pour Services publics ET revenu de base, un duo émancipateur »

  1. Michel Beaume dit :

    Comme d’habitude, il manque un projet chiffré : évalué par son coût et dont la faisabilité est justifiée par son financement.
    Je vous rappelle la dernière version de mon projet
    ____________________________________

    Une « ressource garantie à tous de 1100€/mois ,
    associée à « un héritage pour tous (cf. T Piketty).
    Un projet de Michel Beaume
    Résume du coût et du financement du projet,
    (avec IN= « impôt négatif », et RBI= « revenu de base inconditionnel »).

    I – Coût du IN+RBI (avec IN=735€/mois et RBI 350€/mois, (250/mois jusqu’à 18ans)
    soit une ressource minimale garantie de 1 158€/mois par adulte, (985€/mois jusqu’à 18ans),
    L’IN va éradiquer la grande pauvreté, remplacer les AF, et financer « l’héritage pour tous »
    I – Coût total du (IN)+(RBI adultes/18ans 2 380 000 IN= 735 20 991 600 000
    grande pauvreté <18ans 14 000 000 IN= 735 123 480 000 000
    S/total 16 380 000 144 471 600 000
    18ans (chomeurs, retraités) 56 000 000 RBI=350 235 200 000 000
    S/total #70 000 000 277 200 000 000
    Total 70 000 000 421 671 600 000

    II – Financement par :
    a) le recyclage de dépenses existantes (source ; Sénat)
    Prestations sociales 2014, par risque En Mrd €
    Sous-total 154,8
    Qq dépenses recyclables hors les prestations sociales
    Sous-total 134,7
    Total 289,5
    b) le reste à financer par l’impôt est alors de : 421,7-289,5 = 132,2Mrd€
    Sachant qu’un décile de la population aura touché 42,17Mrd € de RBI, les quatre déciles du haut de la fourchette auront touché 168,68Md € sans en avoir fondamentalement besoin,
    je peux donc leur en reprendre 132,2Mrd€ pour boucler le financement de ce projet.
    ____________________________________
    Capital+Prêt : « Un héritage pour tous » (cf. T Piketty : 120k€ à 25 ans)
    Sur l’hypothèse d’un placement de 450€/ mois sur les (735+250)€/mois distribués aux parents pour les <18ans, chacun d’eux pourra alors disposer :
    – à l’age de 18 ans de : 450x12x18=97 000k€ (hors les intérêts obtenus)
    – ou à l’age de 22ans de 450x12x22=118 800 k€. (hors les intérêts obtenus)
    Il resterait alors (735+250-450), soit 535€/mois en équivalence des Alloc Fam.)
    Ainsi, à partir de 18 ans, chacun pourra disposer, de tout ou partie de cette somme,
    – à sa demande, suivant ses besoins et pour le montant qui lui serait nécessaire,
    – en vue d’une formation, ou d’une installation familiale ou professionnelle.
    De plus, cette demande pourrait fort bien être faite soit par et pour lui-même, soit pour une tierce personne, sur les mêmes objectifs.
    ____________________________________
    La gestion de l’ensemble du dispositif se devrait d’être partenariale.
    (je souligne la marge de mes calculs liée la population prise en compte)
    ____________________________________
    Au besoin, la page est disponible sous Word.

    Cordialement

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