Revenu de base : À quand un projet de loi ?

Les différentes crises que nous venons de vivre ont révélé au grand jour l’urgence de reformer les dispositifs de lutte contre la pauvreté. Des mesures immédiates devraient permettre de garantir à tous ceux et celles qui n’ont pas ou plus de revenus de disposer d’un minimum, comme le proposent diverses organisations réunies dans un Collectif Pour un Minimum Garanti[1]:

Garantir un revenu décent sans contrepartie, à hauteur du seuil de pauvreté à 50 % au moins ;

automatiser le versement des aides sociales pour lutter efficacement contre le non-recours ;

élargir le RSA aux 18-25 ans, un public aujourd’hui particulièrement touché par la crise ;

En veillant à ce qu’aucun allocataire ne soit perdant à l’issue de cette réforme des minima sociaux.

Si cette mesure contribue à lutter contre la pauvreté et la grande précarité, elle ne permet pas de débrancher ce grand corps malade qu’est devenu le corps social, de toutes ces perfusions d’aides qui l’entravent. Elle ne répond pas aux besoins des ménages modestes, ces gilets jaunes, qui mois après mois consacrent tout leur temps et leur énergie à joindre les deux bouts. Elle n’autorisera pas l’être humain à s’affranchir d’un emploi de survie pour s’épanouir dans une activité choisie, un travail valorisant, de reconquérir du temps pour soi, de s’émanciper. L’objectif doit consister à transformer progressivement toutes ces aides sociales conditionnées en un droit universel à un revenu décent qui assure en toutes circonstances les besoins élémentaires, quel que soit son statut social. On a montré́ tout le potentiel émancipateur de cette allocation universelle d’existence. On a montré aussi qu’il n’en coûterait rien au budget de l’État, mais seulement un peu plus de solidarité et de transparence dans la participation des plus aisés.

Il reste à tracer le chemin de sa mise en œuvre, d’ébaucher un projet de loi pluriannuel pour son extension progressive à l’ensemble des membres de la communauté, en veillant qu’à chaque étape d’assurer l’individualisation, l’inconditionnalité et l’universalité des mesures prises.

1ere Année :

Réforme des allocations familiales et individualisation de l’impôt sur le revenu

La première étape pourrait consister en une refonte des allocations familiales et de l’impôt sur le revenu. L’objectif étant, pour les premières, de les rendre à nouveau universelles, et inconditionnelles avec un droit dès le premier enfant. Le montant doit être suffisant pour se dispenser de toutes les aides à l’enfance actuelles.[2] Par ailleurs, l’individualisation de l’impôt sur le revenu permettrait d’en finir avec le caractère injuste du quotient familial qui, bien que plafonné, favorise les foyers les plus riches.

Une proposition : 1800 € à la naissance, 350 € de 0 à 14 ans, 500 € de 14 à 18 ans (76 milliards d’euros) pourrait être financée par les économies sur les aides à l’enfance que l’AUE remplace (37 milliards) et par une refonte de la progressivité́ de l’impôt, avec un taux marginal maximal plus élevé et l’élargissement de la base d’imposition. Ainsi, avec cette première étape, tous les enfants jusqu’à leur majorité, sans exception, pourraient bénéficier de conditions minimales de bien-être.

  • la même année on fera une simulation pour les foyers fiscaux concernés par la mise en place du RUE jeune la deuxième année.

2ème année :

 RUE Jeune financé par un impôt sur le patrimoine

La deuxième étape pourrait s’adresser aux jeunes de 18 à 25 ans, actuellement angle mort de la solidarité nationale. La réforme consisterait à instituer une dotation universelle tremplin, avec un droit de tirage de 900 € maximum par mois ; le solde étant versé en capital à 25 ans. Pour son financement, elle s’accompagnerait d’une réforme de l’impôt sur la fortune rebaptisé IFI. L’objectif consisterait à supprimer cette recette fiscale qui est très faible et qui serait largement compensée par la suppression des aides conditionnées aux jeunes en difficulté et, en même temps, à instituer une taxe sur tous les actifs nets, (TAN) prélevée directement par la Caf.

900 € à partir de 18 ans jusqu’à 25 ans, c’est un capital de 75 000 € qui est ainsi transmis des parents, qui ont un patrimoine, vers la jeune génération. Le coût global est de l’ordre de 60 milliards d’euros. Une taxe sur l’actif net (TAN) progressive, au taux moyen de 0,5 % par an, assurerait le financement (72 milliards). Il s’agit bien d’un revenu universel, car tout le monde, à une période de sa vie, recevra inconditionnellement et individuellement cette allocation et s’affranchira totalement de l’assistance de l’État.

  • La même année on fera une simulation pour les foyers fiscaux concernés par la mise en place de la retraite de base universelle la 3° année.

3° année :

 Vers une retraite de base universelle

La troisième étape pourrait être dédiée aux retraités, avec l’instauration d’une retraite de base de 1200 € en complément à une retraite fixée à 75 % du montant des retraites actuelles avec l’augmentation de l’ISF à 2 % et un impôt sur les revenus à taux moyen de 30 % pour les retraités avec l’extinction de l’ASPA et des aides diverses aux personnes âgées.

  • Dans cette troisième étape, les services fiscaux de l’État avec les services de l’URSSAF procéderont à des simulations d’application de l’AUE à tous les foyers fiscaux et à l’ensemble des entreprises, pour une extension à l’ensemble de la population dès les années suivantes.

4° année :

Un RUE pour toutes et tous

Enfin la quatrième étape serait la généralisation à l’ensemble de la population, avec l’extinction de l’impôt sur le revenu (I.R.) et de l’ensemble des aides (minima sociaux, aide à l’emploi. La transformation de la Caf en C.A.U.E. (Caisse de l’Allocation Universelle d’Existence) permettrait l’administration de cette nouvelle allocation ; l’U.R.S.S.A.F. se chargeant de prélever les cotisations à leurs taux respectifs adaptés à ce nouveau modèle.

Dans cette étape on procèderait aussi à l’instauration de l’assurance maladie universelle et à l’extinction des assurances complémentaires.

Pendant toutes ces étapes, pour obtenir l’acceptation sociale de cette réforme fondamentale, une expérimentation sur site de saturation,( voir Annexe 4 du livre:  » l’allocation universelle d’existence, la protection sociale du XXI° siècle », Guy Valette ), permettrait d’anticiper les effets sur l’ensemble de la population et ainsi éventuellement de corriger les divers paramètres sans altérer la philosophie générale.

L’ensemble de cette contribution ouvre des perspectives, trace des pistes. Elle doit contribuer à convaincre les responsables politiques, les partenaires sociaux, que cette allocation universelle d’existence peut être, contrairement à une version minimaliste d’un revenu de base, dans sa version libérale, la conquête sociale majeure de cette première partie du xxie siècle.

L’allocation universelle d’existence n’est pas seulement un outil d’émancipation individuelle, elle doit s’inscrire dans un programme plus large. Comme avec la Sécurité sociale en son temps, il s’agit, d’un moyen de protection et d’émancipation contre les agressions du capitalisme mondialisé. Cette proposition est une réforme transitoire de la société telle qu’elle est et non comme on souhaiterait qu’elle soit. Elle ne modifie pas immédiatement le partage de la valeur ajoutée entre capital et travail, elle ne remet pas en cause la propriété́ des moyens de production, elle vise seulement, par la solidarité de toutes et tous, à réarmer la majorité́ des citoyens pour conduire ensuite d’autres combats vers un partage plus équitable des richesses, vers une alternative globale à ce monde marchand mortifère.

« L’universel concret est revenu. Il est en fait devant nous. La pandémie l’a fait ressortir sous toutes ses formes : du vaccin aux conditions de travail en passant par la santé individuelle et publique. Oui, c’est « tout un programme ». Mais y en a-t-il d’autres, aujourd’hui ? Ne peut-il pas, ne doit-il pas nous réunir[3] ? » 

Voir le diaporama : RUE: A quand un projet de loi ?

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[1] Les membres du Collectif pour un Revenu Minimum Garanti : Aequitaz, Droit au Revenu, Réseau Roosevelt, RSA 38, MFRB
Lire le rapport : « Revenu sans contrepartie, Aequitaz – Secours catholique », octobre 2020� https://www.aequitaz.org/wpcontent/uploads/2020/11/rap- port_revenu sans_contreparties_VF2�pdf

[2] Le coût de l’ensemble des aides à l’enfance actuelles et les effets du quotient familial sont estimés par Léon Régent à 37 milliards dans La face cachée des prestations familiales, Éditions de l’Onde, 2017, p.50

[3] Fréderic Worms, « “l’universel concret” est de retour », Libération, 13 mai 2021

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La retraite en chantant, c’est tous les jours dimanche !

Un article de mon ami Alain Véronèse;

Ce papier fut primitivement publié dans la revue Les Utopiques, n° 13, Printemps 2020. Depuis cette date, la liberté libérale a encore marqué des points.

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Le Produit intérieur brut de 2020, global et par tête, est bien supérieur à celui de 1981. Une meilleure répartition tant du travail, que des revenus pourrait, et à tout âge, permettre à toutes et tous de vivre dignement. Où sont passés les gains de productivité ? Ne faudrait-il aller voir du côté de la croissance des dividendes – excellents en 2019 suivant les Échos – et du montant des émoluments des dirigeants du CAC 40 ? Le calcul est facile à faire, non ? La retraite tardive pour les uns, c’est le chômage immédiat pour les plus jeunes. « Il va falloir travailler plus longtemps », nous serinons-t-on sans cesse sur tous les tons. Ah, bon ? Et, pourquoi ? Les capacités productives de nos économies devraient au contraire nous autoriser à travailler bien moins ce, à tout âge de la vie. Après la réforme punitive réduisant drastiquement les allocations des chômeurs, l’amputation des pensions, ça commence à faire beaucoup. Ça va passer, ça va durer ?

RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL: CINQ ANS D’UN COUP !

Il y a bien longtemps (1981), dans une autre époque, un ministre du temps libre, André Henry, était chargé de « conduire par l’éducation populaire, une action de promotion du loisir vrai et créateur et de maîtrise de son temps. » La même année, la semaine de travail perdait une petite heure, la cinquième semaine de congés payés devint effective, l’âge de la retraite était alors fixé à 60 ans. Une réduction du temps de travail : 5 années d’un coup ! Une autre époque, une autre éthique aussi. La valeur travail était, en ces temps lointains, fragilisée par les attaques des partisans du droit à la paresse et « l’allergie au travail » des soixanthuitards tendance babacool. Cette valeur ne faisait plus rêver grand monde. « Métro-boulot-dodo », ce n’était pas une vie, on rêvait d’autre chose, en attendant que l’heure de la retraite sonne… (Jean Ferrat).
« Métro-boulot-caveau » a-t-on entendu dans les manifestations s’opposant à la retraite par points. L’euphorie du flower power est dissipée, l’horizon du libéralisme autoritaire est fort sombre. Pourtant, il reste encore…

LE DIMANCHE DE LA VIE

Les temps ont changé avant d’atteindre le très grand âge, la retraite n’est plus un effacement, une démission, un retrait, … la retraite est vécue comme le dimanche de la vie. Un long dimanche, on peut se lever tard, faire ce que l’on veut sans horaires imposées. Ce long dimanche de la retraite est un morceau, un moment (tardif) de « La société du temps libéré » qu’André Gorz appelait de ses vœux [1]. Cette accoutumance à l’oisiveté prolongée (20 ans, 30 ans, sans travailler !) est fort dangereuse et contradictoire avec la morale du travail que Macron a encore défendue le 1er mai 2019. « Le 1er mai est la fête de ceux qui aime le travail, qui chérissent le travail, parce qu’ils savent que par le travail on construit son avenir et l’avenir du pays. » Cet amour du travail, n’est pas partagé par tout le monde. Nombres d’actifs et actives se rendent au boulot par contrainte. Il faut bien bouffer et acquérir quelques objets qui ajoutent au confort quotidien. Les retraité.es, réputés « inactifs », sont plutôt cigales que fourmis.

La retraite, comme fin du travail, « a cessé d’apparaître comme le moment où l’on se retire de la vie. C’est en train de devenir le plus bel âge de la vie, le bout du tunnel d’une vie marquée par la pression temporelle toujours plus forte. Allonger la durée du travail c’est effectivement s’en prendre au dimanche de la vie. […] La sagesse depuis l’antiquité, est une capacité de se retirer en soi-même, de faire retraite en soi. [2] » Cette préfiguration de la vie sans travail, que les thatchériens du gouvernement veulent indéfiniment reculer, est un otium [3]. Le loisir actif de 18 millions de citoyens et citoyennes français.es qui ne sont plus comptés dans la population active et s’en trouvent fort bien. Ce n’est pas pour rien que l’on a entendu certains déclamer « Nous voulons la retraite avant l’arthrite ! »

Parce que nous vivons plus longtemps, il faut travailler plus longtemps ? Ah bon, et pourquoi donc ? Il faut au contraire travailler moins longtemps et à tous les âges de la vie. C’est le point de vue de Henri Pena Ruiz : « Un partage équitable du progrès technique » est à mettre en œuvre. Il n’y a pas de réel problème économique, financier. « En 1950, il y avait 4 « actifs » pour un retraité, alors qu’en 2020, il y a « seulement » 1,7. Qu’a-t-on fait des gains de productivité ? Les actifs et actives d’aujourd’hui produisent, en travaillant moins longtemps, bien davantage qu’en 1950 et même qu’en 1981. Sans doute faut-il aller voir du côté de la croissance de dividendes[4] ? Nombre de retraité.es ont accès au loisir – qui n’est pas désœuvrement –, un usage du temps libéré des contraintes salariales. Henri Pena-Ruiz fait valoir que ce qui se joue dans cette liberté active est peut-être un retour à l’antique : « En pensant le loisir qui se dit en grec ancien scholè, Aristote a pensé l’École lieu d’instruction libre car délivrée de tout souci utilitaire. [5] »

LA COMÉDIE DU TRAVAIL

Une distribution largement moins inégalitaire ? d’une production qui nécessite de moins en moins de « travail vivant » ? doit rapidement être faite. C’est nécessaire, sinon « avec la robotisation et l’utilisation des neurosciences, ils n’ont plus besoins de ces 3500 millions d’êtres humains les plus pauvres, pour faire rebondir le système capitaliste. Ce sont des bouches qui ont faim, qui ont soif et qui sont inutiles. [6] » Nécessaire et possible, car la production, chaque jour, est faite par une robotique vite rentabilisée ; l’intelligence artificielle avantageusement remplace ou assiste des professionnels de haut niveau, journalistes spécialisés et chirurgiens fort précis.  Une véritable Robolution est en cours [7] Depuis plusieurs décennies l’essentiel des gains de productivité est confisqué pour les dividendes des actionnaires. Une réduction du temps de travail a lieu tous les jours. Celle qui, sans cesse, augmente les effectifs de « l’armée industrielle de réserve » : le nombre des chômeurs et chômeuses, dont la récente et punitive réduction des allocations vise à les affamer un peu pour leur faire « traverser la rue » … pour faire le trottoir [8] ?

Il nous faut mettre fin à la comédie du travail, dont l’issue risque fort d’être dramatique. Le camouflage des « boulots à la con » (Bullshit jobs, en « franglais ») [9], l’abondance jetable qui fait déborder nos poubelles, l’obsolescence planifiée, rentable… Le solipsisme [10] féroce qui inspire le comportement des libéraux-autoritaires au plus haut niveau se manifeste comme libéralisme cynique, thatchérisme sadique ; C’est la montée des « eaux glacées du calcul égoïste » qui provoque le réchauffement climatique.  Rapidement il nous faut quitter le Titanic. Un partage du travail qui implique une réduction « féroce » du temps de travail (Serge Latouche), des revenus, de la richesse (dont le contenu doit être réévalué). Que resterait-il du travail dans une économie économe où les tâches seraient équitablement partagées ? Deux heures par jour, comme le préconisait il y a quelques décennies le Collectif Adret [11] ? Ou 15 heures par semaine comme le prévoyait John-Maynard Keynes [12] dès les années 30 ?  Il nous faut changer de paradigme, d’itinéraire et reconsidérer la teneur de nos revendications. Penser à l’envers ?

POUR L’OTIUM DU PEUPLE

« Il est temps de penser à l’envers : de définir les changements à réaliser en partant du but ultime à atteindre et non des buts en partant des moyens disponibles, des replâtrages immédiatement réalisables. Il nous faut penser à sortir de la société salariale. » L’abolition du salariat, rien de moins ! La vision, la visée et l’espoir d’André Gorz, dès 1997 [13]. Sans doute s’agit-il de réaliser, de rendre effectives, les potentialités cachées, occultées du niveau des forces productives. Dès l’antiquité, Aristote avait l’intuition de ce pourrait permettre la société automatique, le monde de production cybernétique : « Si un jour les navettes tissaient d’elles-mêmes et si les plectres [petites baguettes de bois ou d’ivoires servant à pincer les cordes de l’instrument] jouaient tout seuls de la cithare, alors les ingénieurs n’auraient pas besoin d’exécutants et les maîtres d’esclaves. [14] » Denis-Robert Dufour de poser immédiatement la question d’époque : «  Or, avec le développement du machinisme pendant les révolutions industrielles, ce moment est venu. Nous aurions dû sortir du travail aliéné. Pourquoi alors y sommes-nous entrés davantage ? C’est une question d’autant plus immense que la philosophie première, représentée ici par Aristote, celle qui allait jusqu’à justifier l’esclavage, envisageait bien, à terme, sa suppression pour qu’une énergie mécanique autonome remplace l’énergie fournie par des hommes réduits à l’état de bêtes. » Et, Dany-Robert Dufour de continuer.
« Or, quand ce moment hypothétique est enfin réellement venu, non seulement le travail esclave n’a pas disparu, mais il s’est renforcé. »

Dans un entretien donné au trimestriel les Z’indignés [15], Dany-Rober Dufour défend une thèse fort proche des propositions du MFRB (Mouvement français pour un revenu de base), et de celle d’André Gorz à partir de 1997, quand il envisageait d’organiser l’exode hors la société du travail aliéné. Ainsi, considération faite de l’automatisation accélérée de la production, Dany-Robert Dufour affirme : «  Ces machines qui ont coûté si cher à la classe ouvrière, comme aliénation, comme dépossession de son savoir, comme condamnation au chômage et à l’inactivité, pourquoi s’en passerait-on aujourd’hui, si elles permettent d’imaginer une sortie progressive du travail aliéné et exploité, c’est à dire du « travail pour l’autre », le capitaliste, ouvrant ainsi une ère nouvelle : celle du « travail pour soi » (lequel peut beaucoup profiter aux autres).
Les richesses produites par les machines permettraient d’alimenter un fond social garantissant à chacun un revenu de base [nous soulignons] et le travail pour soi permettrait de mettre en place une économie de la contribution à partie des ressources partagées et gérées en commun. 
 »

En opposition totale à cette utopie réaliste, l’idéologie du travail encensée par Emmanuel Macron a pour essentielle fonction de préserver, de conforter les privilèges de la classe dirigeante : « Le travail est mort, ce qu’il en reste n’a d’autres fonctions que de se reproduire lui-même comme instrument d’assujettissement des travailleurs. [16] » Soyons réaliste. Exigeons tout le possible : l’Otium du peuple qui nous permettra d’aller tous les jours à la scholé. Sauf le dimanche ?

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[1] Bâtir la société du temps libéré, André Gorz, Editions. Les liens qui libèrent et Monde diplomatique, 2013

[2] Hélène L’Heuillet, entretien dans Libération du 20 décembre 2019. Auteure de Eloge du retard, Editions Albin Michel, 2019.

[3] Henri Pena Ruiz, parle de la scholè dans l’article cité, l’otium en est la version romaine. Plus bas, nous rencontrerons Aristote qui bénéficia pleinement de la scholè, rendue possible par le travail des esclaves.

[4] L’argumentation gouvernementale oublie systématiquement de parler du partage de la valeur ajoutée, et du niveau moyen des émoluments des dirigeants du CAC 40 : 5,7 millions d’euros en 2019. Fort opportunément, une mise au point de François Ruffin qui refait les comptes à l’Assemblée nationale (décembre 2109). « Depuis les années 1980, la part des dividendes dans le PIB a triplé. Trois fois plus ! Le revenu des actionnaires quand allez-vous les plafonner ? La rémunération du capital a augmenté 7 fois plus vite que celle du travail. »

[5] Marianne, 1er janvier 2020.

[6] Monique Pinçon-Charlot, dans l’Humanité dimanche, 27/28 août 2019. Coauteure, notamment, de Le président des ultra-riches, Editions Zones, 2019.

[7] Robotatiat, Bruno Teboul, Editions Kawa, 2017. Egalement : L’avènement des machines. Robots & intelligence artificielle : la menace d’un avenir sans emploi, Martin Ford, Editions FYP, 2017. Voir aussi les écrits de Bernard Stiegler, Erik Brynjolfsson, Andrew Mc Fee, André Gorz, Robet Kurz … La documentation est surabondante : le travail n’est plus ce qu’il était… Pourtant les analyses et propositions des syndicats et partis de gauche ne me semblent pas à la hauteur des enjeux de la période. Le terrain de la prospective politique est laissé libre pour les implantations inquiétantes du libéralisme autoritaire.

[8] Voir http://www.ac-chomage.org

[9] Bullshit jobs, David Graeber, Editions Les liens qui libèrent, 2018. Après Keynes, Graeber préconise la semaine de travail de 15 heures.

[10] Solipsisme :Sujet centré sur lui-même. Égoïsme radical.

[11] Adret : en pays montagneux, versant exposé au soleil. Il s’agit là de la signature collective utilisée pour un livre paru en 1977 : Travailler deux heures par jour, Editions du Seuil. Les auteur.es : Claudie Besse, employée aux chèques postaux – Suzanne Bonnevay, secrétaire – Charly Boyadjian, ouvrier en 3 x 8, délégué syndical CFDT – Roger Collas, ex-ouvrier (CGT), retraité – Gilles Denigot, docker, militant des Groupes de salariés pour l’économie distributive – Daniel Schiff, enseignant – Loup Verlet, chercheur scientifique.

[12] Economiste anglais (1883-1946).

[13] Misères du présent. Richesse du possible, André Gorz, Editions Galilée, 1997. C’est dans cet ouvrage que Gorz se « convertit » au revenu garanti (de base).

[14] Politique, 1,4. Citation d’Aristote tirée de Le délire occidental et ses effets actuels dans la vie quotidienne : travail, loisir, amour, Dany-Robert Dufour, Editions Les liens qui libèrent, 2014.

[15]N°54, Oct.-Déc. 2019.

[16] L’échange symbolique et la mort, Jean Baudrillard, Editions Gallimard ,1976.

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Intelligence artificielle et revenu de base

Avec Antoine Mouré, à l’invitation de l’Association Française Transhumaniste nous avons animé une conférence-débat sur le thème: Comment le Revenu de Base peut-il être une mesure technoprogressiste en réponse aux progrès de l’IA ?

Ma présentation introductive:

Grâce au progrès technique, dans les années 30, Keynes prédisait pour l’année 2000 la semaine de 15 heures avec un niveau de vie quatre fois supérieur.  Au début de ce XXI° siècle, nos pays sont cinq fois plus riches que dans les années 30 mais le travail s’est intensifié pour certains, il s’est précarisé́ pour d’autres, il a disparu pour beaucoup trop de salariés au lieu d’être partagé entre toutes les mains. Si le progrès technique a tenu ses promesses, le bien- être promis n’est pas au rendez-vous.

La question centrale à laquelle nous allons essayer de répondre n’est pas comment produire davantage, mais bien comment répartir mieux la richesse créée par les hommes et par les machines.

Le progrès technique ne s’accompagne pas nécessairement de progrès sociaux. Au contraire, Bernard Stiegler, philosophe, décrit la disruption comme un phénomène d’accélération de l’innovation où ceux qui s’approprient cette innovation technologique, les GAFAM par exemple, imposent des modèles qui détruisent les structures sociales existantes et rendent les pouvoirs publics impuissants. C’est l’ubérisation de l’économie où les employés ne sont ni des autoentrepreneurs, ni des salariés avec des droits sociaux.  Ces sans-statut, ces sans-droits ont vu leur nombre exploser. En France, ils sont environ 1,3 million. Sans contrat de travail, sans protection sociale, chacun de ces travailleurs précaires, sans patron sur le dos, mais avec un algorithme tyrannique dans la poche, paie très cher une liberté factice.

En 40 ans le taux d’emploi précaire a triplé. Le salariat peu à peu se mute en précariat.

Au lieu de nous libérer, la machine nous a asservis et il est à craindre qu’avec l’intelligence artificielle ce processus délétère se poursuivre, les mêmes causes produisant les mêmes effets.

En outre le coût des investissements qu’exige l’innovation technologique d’une part, la concurrence de l’autre, exige toujours de produire davantage à des prix toujours plus bas. Ainsi au fil du temps les prix des produits manufacturés sont à la baisse, alors que les services qui exigent beaucoup de main d’œuvre et dont la productivité évolue peu, (les métiers du soin, les services publics en général, l’entretien, le coiffeur) voient leur coût augmenter avec le coût de la vie. C’est la fameuse loi de Baumol qui stipule qu’avec le progrès technique dans les secteurs industriels, le prix des biens dont la production est automatisée diminue tandis que celui des services dont la production n’est pas automatisable augmente. C’est ainsi par exemple que le prix d’une machine à laver diminue et qu’en revanche le coût des réparations augmente… Ce qui incite au renouvellement plutôt qu’au prolongement des objets ce qui  accroit  le gaspillage des ressources.

Avec un appareil de production de plus en plus sophistiqué, qui exige de plus en plus de capitaux, capitaux qui exige d’être bien rémunérés en intérêts ou dividendes, en vingt ans dans les pays de l’OCDE, 10 % de la VA a migré de la rémunération du travail vers la rémunération du capital. 10 % en France c’est 250 milliards qui manquent dans la poche des salariés et dans les caisses de la Sécu.  

Le grand paradoxe de notre époque pointé par deux économistes du MIT est « que la productivité est à un niveau record, l’innovation n’a jamais été aussi rapide mais en même temps notre revenu moyen diminue et il y a de moins en moins d’emplois. »

C’est ce que confirme l’économiste américain William Brian Arthur qui observe que l’économie en est arrivée à un point où la production est largement suffisante pour satisfaire les besoins de tous, mais où les emplois générateurs de revenus suffisants pour accéder à toute cette richesse produite, se font de plus en plus rares.

En outre cet assèchement de la distribution de la richesse par la rémunération du travail a conduit l’État à mettre sous perfusion une partie du corps social avec des aides sociales conditionnées, familiarisés financées par l’impôt, qui assujettissent les individus et qui divisent la société entre d’un côté un monde des assistés et de l’autre ceux qui réussissent tant bien que mal à vivre de leur travail.

Est-ce que l’intelligence artificielle pourrait ré enchanter le monde du travail ?

Il est à craindre que non si celle-ci, comme il en est de la plupart des moyens de production, reste la propriété d’une minorité guidée par le seul profit financier qu’apportera cette innovation.

Selon un rapport du Forum économique mondial, au cours des cinq prochaines années, le monde pourrait connaître la perte de quelque 83 millions d’emplois et la création simultanée de quelque 69 millions de nouveaux emplois, ce qui créerait une perte de 14 millions d’emplois. Il prévoit que d’ici 2027, les niveaux d’automatisation des tâches atteindront 42 % dans les tâches commerciales et jusqu’à 65 % dans les processus d’information et d’analyse des données, l’intelligence artificielle étant l’un des principaux moteurs de cette évolution.

Karl Widerquist, professeur de philosophie à l’Université de Georgetown au Qatar estime que si une personne perd son emploi à cause de l’IA, elle va régresser sur le marché du travail et exercer dans des secteurs d’activité à faible revenu. 

 Les entreprises qui possèdent cette technologie pourraient aussi rapidement monopoliser le marché jusqu’à ce qu’une seule entreprise domine toutes les autres comme c’est le cas aujourd’hui avec les géants du numérique.

Alors, que deviendrons-nous lorsque le travail et sa coordination seront entièrement automatisés ? Assisterons-nous à une exacerbation des inégalités et la fin de la démocratie avec l’accaparement du pouvoir et du contrôle de tous nos faits et gestes par une élite propriétaire de l’IA ?

Devrait-on alors se satisfaire comme seul projet de société́ de ce « cocktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète » comme l’a proposé l’ancien conseiller de Jimmy Carter, Z. Brzezinski sous le nom de tittytainment au forum mondial qui s’est tenu à San Francisco en septembre1995. [1]

Enfin ce système de substitution du travail humain par la machine repose sur une forme d’abondance énergétique, notamment grâce au pétrole qui conduit à une impasse. Selon la logique du profit, les machines, finissant toujours par être plus efficaces et lucratives que les êtres humains, remplaceront dans de plus en plus de secteurs les hommes ; mais celles-ci en se substituant au travail humain consommeront de l’énergie alors que les êtres humains avec ou sans travail devront aussi continuer à se nourrir, se déplacer, se loger, à consommer des biens et donc continuer pour leur survie à consommer toujours autant d’énergie.

Pourtant comme Keynes on aurait dû aussi se réjouir qu’en un siècle, l’automatisation, la robotique et la numérisation de l’économie puissent soulager l’homme de tâches pénibles et répétitives ; C’est tout le contraire qui s’est produit : Le travail s’est intensifié et s’est précarisé, enfermant les travailleurs dans l’angoisse de la déqualification et de la marginalisation. La « civilisation du temps libéré » chère à André Gorz semble une utopie.

Le problème fondamental est que jusqu’à présent les droits humains fondamentaux définis par la déclaration universelle de 1948, se nourrir, se loger, se vêtir se déplacer, cet universel concret cher au philosophe Fréderic Worms, ces droits universels sont conditionnés au droit à un emploi correctement rémunéré, droit qui est loin d’être universel et qui le sera de moins en moins avec l’IA, et c’est là que le bât blesse.

Alors quand le travail rémunéré n’assure plus dans de bonnes conditions l’existence, n’est-il pas temps de dissocier droit imprescriptible à l’existence et droit à l’emploi ?

Que faire ?

Beaucoup d’organisations d’entraide et de solidarité réclament un revenu minimum garanti pour les plus démunis. C’est une première étape urgente mais insuffisante. Car un système qui n’aide que les pauvres creuse encore l’écart qui les sépare du reste de la société. Une politique pour les pauvres est une pauvre politique observe Richard Titmuss, théoricien de l’État social britannique. 

Comment passer d’une aumône d’État qui assujettit à l’exercice d’un droit universel qui vous élève et vous libère d’un emploi non choisi?

Le philosophe marxiste Daniel Bensaïd souligne l’impérieuse nécessité de la socialisation d’une part des revenus : « La division sociale complexe du travail devrait permettre une socialisation accrue du revenu et une extension des solidarités. Ce serait le sens d’un revenu universel garanti déconnecté́ du travail, non dans sa version libérale d’une aumône de survie mais dans une logique du droit à l’existence et de l’extension des domaines de gratuité. »[2]

C’est la raison d’être de notre mouvement le Mouvement Français pour un Revenu de Base (MFRB)[3] quis’est donné pour mission de promouvoir le revenu universel dans le débat public, jusqu’à son instauration.

Sa charte définit ainsi le revenu de base : « Le revenu de base est un droit inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, distribué par une communauté politique à tous ses membres, de la naissance à la mort, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement sont ajustés démocratiquement. »

Que devons-nous attendre de ce revenu d’existence ?

Il doit nous protéger…

  • Par son montant il doit immuniser à toutes les étapes de la vie contre la pauvreté et libère l’individu de l’épreuve du guichet et de la charité publique et privée.  Il protège aussi contre les accidents de la vie.

…mais surtout il doit être émancipateur pour nous permettre de travailler moins et vivre mieux.

 Jean Marie Harribey d’ATTAC affirme : « Le travail est vital dans un double sens : vital pour produire les conditions concrètes d’existence, vital pour se produire soi-même au sein d’un collectif social et culturel « [« 4] Il s’agit avec cette allocation d’existence de socialiser le premier objectif pour que chacun puisse se consacrer pleinement au second qui est de se réaliser socialement, de s’épanouir dans des activités choisies.

Ce véritable salaire socialisé dissocié de l’emploi individuel, doit permettre de répondre aux mutations en cours dans le monde du travail comme aux défis environnementaux à surmonter dans les années à venir.

  • Il doit permettre un meilleur partage des emplois et une réduction drastique du chômage il doit ouvrir la voie vers la réduction du temps de travail, individuellement et collectivement dans l’entreprise, pour aller dans un premier temps vers la semaine de 4 jours de 28 h. Pour cela lorsqu’on est au SMIC on doit pouvoir, avec le revenu universel, gagner plus en travaillant moins pour vivre mieux. Et ainsi aller vers la civilisation du temps libéré chère à A. Gorz. Cette allocation d’existence doit permettre enfin de réaliser le rêve de Bertrand Russell qui déjà en 1932 dans l’éloge de l’oisiveté s’exprimait ainsi : Si le salarié ordinaire travaillait quatre heures par jour, il y aurait assez de tout pour tout le monde, et pas de chômage. Cette idée choque les nantis parce qu’ils sont convaincus que les pauvres ne sauraient comment utiliser autant de loisir.
  • Il doit permettre d’envisager une transition écologique vers un monde plus frugal, à la fois respectueux des êtres humains comme de l’environnement et des ressources terrestres, il doit offrir la possibilité à chacun de faire les choix les plus pertinents pour la collectivité, tant dans son rôle de producteur comme celui de consommateur, étant assuré, qu’en toute circonstance, il disposera du nécessaire grâce à la solidarité de l’ensemble des membres de la communauté. Quand la vie n’est plus soumise au chantage de l’emploi, le revenu universel permet de se libérer d’une économie productiviste.

En revitalisant l’ensemble du corps social et toutes les composantes de la société,

  • Ce revenu d’existence viabilise des activités aujourd’hui peu rémunératrices, comme l’agriculture paysanne, les commerces de proximité, l’artisanat local, les activités culturelles et la création artistique, les métiers de l’accompagnement et de l’aide à la personne, toutes ces activités très utiles pour le bien-être de la population et peu lucratives car peu automatisables.
  • Il valorise aussi le travail gratuit, l’engagement bénévole, les activités non marchandes, familiales ou sociales, les stages de formation non rémunérés, les données que je mets à disposition gratuitement sur internet, le travail que je fais à la place de la caissière au supermarché, du fonctionnaire pour des démarches administratives sur internet,
  • La formation, le changement de métier, les ruptures dans une carrière professionnelle, l’intermittence, la mobilité, l’échec peuvent être envisagés plus sereinement ;
  • L’allocation, comme la contribution, sont individuelles, émancipant la personne de toute contingence familiale. Elle permet ainsi de dire non à des conditions dégradantes que ce soit dans le cadre de la vie privée ou dans celui de l’entreprise.
  • En donnant de l’assurance et de la sécurité, ce revenu de vie libère l’individu du stress, de l’usage de béquilles médicamenteuses, d’addictions, il augmente les capacités cognitives, le QI de l’ensemble des membres de la famille, allégeant du même coup les dépenses sociales des organismes publiques.
  • Il permet à chacun et chacune de prendre part à la vie publique, d’exercer pleinement son rôle de citoyen et ainsi de décider qu’elle doit être la place à donner à l’intelligence artificielle, aux machines dans la création de richesse et comment celles-ci peuvent contribuer au bien-être commun dans le respect de l’environnement et la préservation des ressources terrestres.

« Il s’agit de construire un État social qui mise intelligemment sur l’épanouissement du capital humain plutôt que sur l’astreinte d’un emploi non choisi.  » Philippe Van Parijs, philosophe, fondateur du B.I.E.N (Basic Income Earth Network).

Comment faire ?

 Pour cela, il nous faut partir du constat paradoxal suivant :

  • Qu’aujourd’hui, le travail ne paie plus alors que la rémunération du capital explose mais la solidarité par les cotisations est toujours totalement assise sur les salaires,
  • Qu’il existe 10 millions de pauvres sous assistance de l’État et dans le même temps l’ensemble du corps social est très riche : 1 600 milliards de revenus primaires et plus de 14 780 milliards de patrimoine,[5] rapport entre revenus et patrimoine inégalé depuis la veille de la 1ere guerre mondiale.

Ainsi sans perdre de vue le combat pour rééquilibrer en faveur du travail le partage de la valeur ajoutée, on peut dès à présent changer de pied en :

  • D’une part, répartissant mieux la solidarité entre travail et capital dans le partage de la valeur ajoutée – les machines, les algorithmes, qui remplacent de plus en plus les humains doivent aussi contribuer par une cotisation à l’existence des salariés qu’elles remplacent, comme le préconisait déjà Sismondi au début du XIX° siècle[6] et B. Hamon avec la taxe robot.
  • D’autre part, en substituant à la redistribution actuelle, faite d’aides sociales organisée par l’État – dont le montant est supérieur au montant de l’impôt sur le revenu – une redistribution horizontale universelle transformatrice, préventive et inclusive (Nancy Fraser)[7].
  • Le tout, administrée par une branche de la Sécurité sociale, pour financer une allocation d’existence inconditionnelle (AUE), individuelle, fondée sur le principe de solidarité universelle : Chacun contribue en fonction de ses moyens (en revenus et en patrimoine) à la satisfaction des besoins élémentaires de l’ensemble de la communauté.
  • A revenu universel, contribution universelle.

Ce revenu dissocié de l’emploi, socialisé, véritable salaire de vie, doit être d’un montant suffisant pour éradiquer tout au long de la vie la pauvreté en se substituant à toutes les aides non contributives, conditionnées financées par le budget de l’État (jamais de revenu individuel par unité de consommation < 1200 €)

Son financement peut être assuré :

  • Par une contribution progressive sur tous les revenus, d’activité et du patrimoine qui remplace l’impôt sur le revenu,
  •  Par une contribution progressive sur le patrimoine net privé qui se substitue à l’I.F.I. 
  • Et une cotisation sur le capital productif, l’EBE. Qui remplace la cotisation des AF sur le salaire.

Enfin quand tout le monde contribue de manière simple par un effort progressif en fonction de ses revenus et de son patrimoine, sans exception, à l’allocation de ce dividende universel la cohésion de la société en est renforcée. C’est la fin des exemptions catégorielles, des ayant-droits, des niches fiscales qui divisent la société et font que le coût des autres l’emporte sur l’empathie. Le consentement au financement de ce droit universel est plus facilement accepté. Le flux des plus riches vers les plus démunis ne dépendant que du niveau des inégalités dans la société.

Conclusion

Après la crise sanitaire de 2020-2022 qui a révélé aux yeux de tous les dégâts de quarante années d’abandon du bien commun, l’ensemble des forces sociales ne peuvent continuer à être spectatrices de leur propre anéantissement.[8] Il faut être force de propositions pour se réapproprier ce qui doit nous être le plus cher : l’exercice d’un droit à une vie digne en toute circonstance.

Ce revenu universel d’existence   peut constituer le premier dénominateur commun d’un programme de gouvernement, encore faut-il qu’elle permette à toutes et tous de s’affranchir de la charité publique qui vous oblige. Car il ne peut y avoir de liberté ni de démocratie réelle sans égale considération, sans égalité des droits humains et sans la solidarité des uns envers les autres pour garantir l’égale participation à la vie sociale et politique de l’ensemble des citoyens. Pour ne pas subir mais pouvoir choisir et pouvoir agir. 

Quelques jours après la chute du mur de Berlin Vaclav Havel s’exprimait ainsi :

« Chacun de nous peut changer le monde. Même s’il n’a aucun pouvoir, même s’il n’a pas la moindre importance, chacun de nous peut changer le monde » j’ajouterais à condition de ne pas devoir perdre sa vie, son temps et son énergie à essayer de la gagner.

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[1] C’est, sous le nom de « tittytainment », la solution proposée par l’ancien conseiller de Jimmy Carter, Zebniew Brzezinski au principal problème politique que le système capitaliste allait devoir affronter au cours des prochaines décennies, formulé ainsi : « Comment serait-il possible pour l’élite mondiale de maintenir la gouvernabilité́ des quatre-vingts pour cent d’humanité́ surnuméraire, dont l’inutilité́ est programmée par la logique libérale? « (Conclusion du premier State Of The World Forum, qui s’est tenu du 27 septembre au 1er octobre 1995 à l’Hôtel Fairmont de San Francisco), cité par Jean Claude Michéa dans L’enseignement de l’ignorance, Éditions Climats, p. 41 et suivantes.

[2] Daniel Bensaïd, Éloge de la politique profane, Éditions Albin Michel, 2008, p49

[3] https://www.revenudebase.info/

[4] Jean-Marie Harribey, la centralité du travail vivant, revue ATTAC, 19 /09/2017 – https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-14-ete-2017/dossier-le-travail/article/la-centralite-du-travail-vivant

[5]INSEE :https://www.insee.fr/fr/statistiques/5432491?sommaire=5435421 https://www.insee.fr/fr/statistiques/5430978

[6] D’après la thèse de Jean de Sismondi, (1773- 1842) l’introduction de nouvelles machines ne profite qu’au patronat. En effet, les profits grossissent alors que les salaires restent les mêmes. Il considère que cette augmentation des capacités de production va mener à des faillites : la consommation ne peut pas suivre le surplus de production puisque les ouvriers ne sont pas payés à leur juste valeur. Sismondi considère que l’inégal partage des richesses est doublement néfaste : c’est injuste et cela provoque des crises de surproduction. Il pense alors à faire augmenter les salaires grâce aux surprofits que crée la machine qui remplace l’ouvrier, en réduisant le temps de travail et en interdisant le travail des enfants. (Wikipédia)

[7] Comme l’écrit Nancy Fraser dans : « Qu’est-ce que la justice sociale ? » : « Les remèdes correctifs à l’injustice sont ceux qui visent à corriger les résultats inéquitables de l’organisation sociale sans toucher à leurs causes profondes. Les remèdes transformateurs, pour leur part visent les causes profondes. » (…) « Combinant systèmes sociaux universels et imposition strictement progressive, les remèdes transformateurs, en revanche, visent à assurer à tous l’accès à l’emploi, tout en tendant à dissocier cet emploi des exigences de reconnaissance. D’où la possibilité de réduire l’inégalité sociale sans créer de catégories de personnes vulnérables présentées comme profitant de la charité publique. Une telle approche, centrée sur la question de la distribution, contribue donc à remédier à certaines injustices de reconnaissance. »

[8]                Barbara Stiegler : « Il faut s’adapter-sur un nouvel impératif politique, Éditions Gallimard, 2019, Page 276 :  Privés à la fois des moteurs de la réforme et de la révolution, les partis dits progressistes sont un peu partout désarmés, assistant médusés à une troublante perturbation des signes, semblant les condamner soit à l’adhésion passive à la « révolution » néolibérale, soit à la lutte réactive contre ses « réformes » et pour la défense du statu quo. Les anciens conservateurs mutent en progressistes, tandis que les anciens progressistes sont dénoncés comme conservateurs. « 

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Services publics ET revenu de base, un duo émancipateur »

Le site d’information Médiapart a produit une série d’articles sur les services publics qui, à partir de l’état désastreux des services non marchands existants et après plusieurs décennies de casse sociale, propose d’en faire un véritable projet de société. Le dernier article de Romaric Godin intitulé  » le revenu de base ou l’envers des services publics  » dans un entretien avec Daniel Zamora Vargas ( 1) oppose logique libérale de l’allocation universelle en cash et logique citoyenne des services publics.

Loin de contester le rôle fondamental des services publics à la fois dans la satisfaction de besoins universels comme dans leur puissante fonction de redistribution, ceux-ci, dans la société marchande, ne peuvent couvrir tous les besoins que tout être humain doit satisfaire quotidiennement où qu’il soit, quoiqu’il fasse; c’est pourquoi nous n’opposons pas ces deux concepts mais au contraire nous en faisons les deux piliers d’un même projet émancipateur.

Avec le revenu de base il s’agirait désormais d’être libre dans le marché, plutôt que d’être libre du marché. » ? (2)

Aujourd’hui nous sommes à la fois loin d’être libres dans le marché et d’être libérés du marché. Quatre décennies de politiques néolibérales ont porté des coups sévères à la fois dans les services publics comme dans la rémunération du travail. La mise en concurrence des travailleurs du monde entier, l’uberisation de l’économie ont transformé une partie du salariat en précariat, pendant que dans le partage de la valeur ajoutée la part de la rémunération du capital s’est accrue. Devant une distribution de la richesse par le travail de plus en plus erratique, l’État redistribue par l’impôt des aides en cash à ceux qui n’arrivent plus à vivre décemment. Ces aides sont conditionnées, ciblées, complexes à mettre en œuvre, surtout elles assujettissent les individus et divisent la société en d’une part le monde des assistés et d’autre part ceux qui s’en sortent tant bien que mal en vendant leur force de travail. Ces aides non contributives, curatives, ne réussissent pas à sortir de la pauvreté plus de 9 millions de personnes en France.

« Le système des aides sociales, c’est le moyen de faire taire les classes laborieuses qui prennent de plein fouet les ravages du capitalisme mondialisé. » Ainsi s’exprimait déjà en 1907 le philosophe allemand Simmel.

Comment faire? Les services publics peuvent-ils à eux seuls assurer l’ensemble des besoins universels que tout être humain doit satisfaire? Si l’accès gratuit aux soins, à l’instruction, la gratuité de services comme les transports, d’ une quantité d’énergie, d’eau, etc.., tous ces services qui répondent à un cahier des charges national, sont des objectifs à atteindre, ils ne permettront jamais de répondre à tous les besoins universels à dimension plus individuelle. Ainsi un salarié correctement rémunéré peut se loger, manger, se vêtir, jouir du temps libre suivant ses goûts et sa personnalité alors qu’une personne sans ressources, dépendante des seuls services publics, ne jouira jamais de la même liberté, ni de la même considération. Une extension des services non marchands à tous les besoins élémentaires universels n’est pas possible sans verser dans une économie totalement administrée. On peut concevoir une sécurité sociale alimentaire allouant individuellement une certaine somme pour se nourrir correctement et sainement, sans aller vers une prescription de produits spécifiques gratuits.

Doit-on choisir par exemple entre les allocations familiales universelles et inconditionnelles et un service gratuit de crèche? les deux sont nécessaires car ils ne répondent pas aux mêmes besoins. La crèche, le service public de la petite enfance offrent un service dont le cahier des charges est identique en tout lieu à l’échelle de la nation, les allocations familiales répondent à des besoins certes universels pour l’enfant mais accommodés et ajustés suivant la propre expertise de chaque famille.

L’allocation universelle d’existence doit s’intégrer dans un projet de Sécurité sociale universelle dans l’esprit de l’exposé des motifs de la loi de 1945 :« La sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain, de cette incertitude constante qui crée chez eux un sentiment d’infériorité et qui est la base réelle et profonde de la distinction des classes entre les possédants sûrs d’eux-mêmes et de leur avenir et les travailleurs sur qui pèse, à tout moment, la menace de la misère. …Envisagée sous cet angle, la Sécurité sociale appelle l’aménagement d’une vaste organisation nationale d’entraide obligatoire qui ne peut atteindre sa pleine efficacité que si elle présente un caractère de très grande généralité à la fois quant aux personnes qu’elle englobe et quant aux risques qu’elle couvre. Le but final à atteindre est la réalisation d’un plan qui couvre l’ensemble de la population du pays contre l’ensemble des facteurs d’insécurité. »

Pour débarrasser les travailleurs de cette incertitude du lendemain, le philosophe marxiste Daniel Bensaïd souligne cette nécessaire socialisation d’une part des revenus :

«Alors que l’intermittence du travail et l’exigence de formation continue tendent à se généraliser, le salaire demeure la rémunération du temps abstrait de travail mesurable.  La division sociale complexe du travail devrait pourtant permettre une socialisation accrue du revenu et une extension des solidarités. Ce serait le sens d’un revenu universel garanti ou d’un salaire social déconnecté du travail, non dans sa version libérale d’une aumône de survie mais dans une logique du droit à l’existence et de l’extension des domaines de gratuité. » ( 3)

Dans le cadre du marché ce revenu de base socialisé en numéraire n’est pas unique, outre le salaire net, il existe d’autres formes de salaire socialisé : la pension de retraite, l’allocation chômage, les allocations familiales ; il est légitime que chacun et chacune , quelle que soit sa situation puisse subvenir à ses besoins individuels élémentaires dans une totale indépendance.

Enfin, contrairement à ce qu’affirme Daniel Zamora Vargas les propositions de revenu de base suffisant ne sont pas inabordables. Suivant le principe de solidarité universelle où tout le monde contribue en fonction de ses moyens en revenu comme en patrimoine, l’ensemble du corps social est suffisamment riche ( 1600 milliards de revenus et 14 800 milliards de patrimoine net privé ) pour allouer un revenu d’existence qui permette à chacun et chacune de ne jamais être en-dessous du seuil de pauvreté ( 60 % du revenu médian ) et ainsi d’en finir avec les aides de l’État stigmatisantes financées par l’impôt ( 4). Le 1er du mois on reçoit de quoi vivre décemment et en même temps on contribue suivant sa condition du mois précédent. Il y aura des contributeurs nets, solidaires de fait avec les plus démunis. Les transferts des plus riches vers les plus pauvres ne dépendant que du niveau des inégalités. Il s’agit ainsi de créer au sein de la Sécurité sociale une nouvelle branche du droit au revenu et de réorganiser les autres branches pour aller vers une couverture maladie à 100 % et un droit à une pension de retraite universelle associé à un système de retraite par répartition et ainsi en finir avec les assurances complémentaires privées et les systèmes individuels de retraite par capitalisation.

La phrase de Steve jobs dans le même article de Romaric Godin : « Très souvent, expliquait-il, les gens ne savent pas ce qu’ils veulent avant qu’on leur montre. » est particulièrement cynique et condescendante. S’il est vrai que le marché ne répond pas toujours à des besoins existants, qu’il participe à les constituer, à les orienter, on ne peut priver personne de son libre choix, de sa pleine responsabilité dans les actes du quotidien et en particulier dans sa quête de satisfaction des besoins personnels essentiels. Si les services publics ( de l’éducation et de l’information ) doivent lui donner tous les moyens pour faire les choix les plus judicieux pour le bien commun dans une logique citoyenne, on ne peut le soustraire de son libre arbitre en le privant de ce moyen d’échange qu’est le cash distribué à la fois par un revenu universel d’existence, un salaire, une pension de retraite ou une allocation chômage.

Il ne peut y avoir de liberté ni de démocratie réelle sans égale considération, sans égalité des droits humains et sans la solidarité des uns envers les autres pour garantir l’égale participation à la vie sociale et politique de l’ensemble des citoyens. L’allocation universelle en cash avec les services publics sont les deux piliers de l’émancipation individuelle, pour nous donner les moyens d’affronter la nécessaire transition écologique et les mutations en cours dans le monde du travail, pour être libre dans le marché et pouvoir un jour aussi se libérer du marché.

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(1) Auteur avec Anton Jäge de l’ouvrage Welfare for Markets (258 pages, 32,5 dollars, non traduit en français)

(2) Citation de Daniel Zamora Vargas dans l’article

(3) Daniel Bensaïd Éloge de la politique profane, Éditions Albin Michel, 2008, p. 49

(4) Lire l’article :  » Pour une sécurité sociale vraiment universelle »

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Loi « pour le plein-emploi  » ou France: travail obligatoire

Le sénat vient d’adopter en première lecture la loi «  pour le plein-emploi« ; elle sera examinée à l’automne à l’Assemblée nationale. Il donne naissance à «  France-travail » qui inclura pôle emploi et renforcera les conditionnalités pour le Revenu de Solidarité Active: tout allocataire de ce minimum vital devra s’inscrire obligatoirement comme demandeur d’emploi ainsi que son conjoint, concubin ou partenaire et devra signer un contrat d’engagement pour un retour à l’emploi. Bref c’est à nouveau le Service du Travail Obligatoire. Au lieu de transformer cette aide sociale, déjà conditionnée aux revenus et à la situation familiale, en un droit imprescriptible à une existence digne on continue à assujettir davantage encore les allocataires. Considérer que vivre de la charité publique ce serait profiter de l’argent public c’est méconnaitre la réalité quotidienne des personnes qui doivent vivre avec 600 € par mois, sous le seuil de pauvreté, c’est faire preuve d’un profond mépris pour tous ces allocataires qui voudraient bien pouvoir se libérer de la tutelle de l’État, de l’épreuve du guichet quand une administration tatillonne s’immisce dans les recoins les plus intimes de la vie.

Un des impacts négatif de cette loi est d’accroître le non-recours à cette prestation plus durement conditionnée. La conditionnalité des minima sociaux et le risque de sanctions aggravent les facteurs de non-recours : crainte de la stigmatisation, complexité des règles et des devoirs, peur du contrôle, crainte d’une sanction arbitraire… Ce non-recours augmentera le taux de pauvreté et diminuera encore les capacités des individus à se loger , à se déplacer à se soigner. Enfin la radiation des allocataires « négligents » et la conversion d’allocataires pauvres en travailleurs pauvres sur des emplois précaires et mal payés ne fera qu’accentuer ce phénomène, tout le contraire de ce que l’on serait en droit d’attendre d’un revenu minimum garanti.

Le « retour à l’emploi » ne se décrète pas et n’a pas à être imposé à des personnes qui pour de multiples raisons ne retrouvent pas une activité rémunérée et qui ont déjà bien souvent épuisé tous leurs droits au chômage. Allocataires qui aussi sont assignées à résidence par un système d’aides dont le montant est conditionné aux revenus d’activité; en acceptant un emploi souvent précaire, à temps partiel, ils doivent assumer des coûts supplémentaires ( transport, garde d’enfants) alors que les aides diminuent de plus de 40 %.(1)

LE RSA : NI DROIT, NI DEVOIR

On nous dit que le RSA serait un droit qui exigerait en contrepartie des devoirs; en particulier celui de se plier aux injonctions des conseillers de pôle emploi à accepter une activité. Le problème est que le RSA n’est pas un droit mais une aide ciblée et qu’un droit à un revenu minimum garanti est inconditionnel parce que vital; en conséquence il ne peut être aliéné à des devoirs. Il s’agit d’une conception infantilisante et réductrice de ce qu’est le droit à vivre dignement en toute circonstance. Ce droit est un dû de la communauté à tous ses membres pour garantir les conditions concrètes d’existence dans le respect de chacun et chacune. Pour le garantir, la communauté a elle le devoir de se doter de moyens financiers et humains suffisants.

C’est parce que la distribution de la richesse par le travail est de plus en plus erratique, parce que les droits sociaux sont insuffisants pour garantir tous les risques que l’État, en dernier recours, à dû mettre en place des aides sociales ciblées, curatives, conditionnées, non contributives; il y a les aides aux familles, les aides au travail dont la prime d’activité, les minima sociaux comme le RSA. Au fil du temps, sous l’effet des politiques néolibérales qui ne cessent de dégrader les droits sociaux on est passé d’un système de Sécurité sociale fondé sur le principe de solidarité à une protection sociale fondée sur la charité publique ( Alain Supiot)

« La charité est encore blessante pour celui qui l’accepte » ( Marcel Mauss). Avec le RSA et la loi à venir il s’agit d’une véritable mise sous tutelle des  » perdants » du système économique que l’on nous impose.

Il s’agit d’une atteinte à la liberté individuelle, à la dignité et cela conduit à une véritable ségrégation sociale entre le « monde des assistés «  et ceux qui contribuent par l’impôt à cette solidarité pendant qu’une petite minorité fait sécession à coups d’optimisation fiscale.

« Le système des aides sociales, c’est le moyen de faire taire les classes laborieuses qui prennent de plein fouet les ravages du capitalisme mondialisé. »  C’est ce qu’écrivait déjà en 1907, Simmel, philosophe et sociologue allemand.

Au lieu de stigmatiser tous ceux qui ne réussissent pas par le travail à subvenir à leurs besoins, il serait temps d’aller vers une extension des droits sociaux pour garantir en toute circonstance une existence digne, pour garantir l’égale considération, l’égale citoyenneté de toutes et tous.

DE LA CONDITIONNALITÉ A LA REDEVABILITÉ NATURELLE

Rudger Bregman dans son livre Utopies réalistes ( 2) cite une expérience menée au Libéria. Pendant 3 ans on a donné sans conditions 200 € à un public particulier constitué de victimes d’addictions comme l’alcool ou autres drogues et de petits délinquants. Au final ils s’étaient libérés de leur addiction et ils avait créer de petites entreprises.

Greg Duncan, Professeur de l’Université de Californie (3) a calculé que si tirer une famille américaine de la pauvreté de manière préventive couterait 4500 $ par an, le « retour sur investissement » serait de :

  • 12,5 % d’heures travaillées en plus,
  • 3000 $ d’économie annuelle en frais de services sociaux,
  • 50 000 $ à 100 000 $ de revenu supplémentaire dans une vie,
  • 10 000 $ à 20 000 $ de revenus fiscaux de plus pour l’État.

Lorsqu’on aide une personne on attend pas une contrepartie immédiate, celle-ci, comme l’explique Marcel Mauss dans son essai sur le don doit se faire naturellement avec le temps. L’aide, comme le don, comme l’octroie d’un droit doit instaurer une forme de confiance en une réciprocité naturelle entre tous les protagonistes qui se construit autour de lien sociaux. C’est tout le contraire d’un échange marchand fondé sur la défiance qui libère immédiatement celui qui offre comme celui qui achète de tout lien social. L’acte d’achat est quasiment instantané, le lien entre le vendeur et l’acheteur est aussitôt rompu, une fois le paiement effectué. Il en est de même d’une aide conditionnée qui réduit la portée de cette aide à une série d’obligations contractualisées : le RSA contre 15 heures d’activités sinon rien.

Naturellement, les conditions objectives d’existence étant assurées, tout être humain va rechercher, en se faisant éventuellement aider, à disposer de toutes ses capacités pour s’insérer dans la société et à son tour créer de la richesse, assurer des services marchands ou non marchands, tout cela inconditionnellement , dans une redevabilité naturelle. Au contraire poser des conditions à une aide ne fait que réduire la portée de cette aide en assujettissant et donc en réduisant la capabilité (4) de l’allocataire. Le rôle des services sociaux devraient être entièrement dédié à l’accompagnement dans l’ émancipation et l’ épanouissement de l’allocataire et non dans des contrôles abusifs et intrusifs et à la distribution de sanctions comme c’est le cas actuellement , ce qui réduit encore les capacités à vivre sereinement au lieu de les développer.

Ainsi contrairement au RSA, le droit à un revenu minimum garanti doit rester inconditionnel. Les heures d’accompagnement des allocataires de minima sociaux ne peuvent pas être de l’activité déguisée mais bien des actions de reprise de confiance en soi, comme l’affirme le comité ALERTE.

il ne peut y avoir de liberté ni de démocratie réelle sans égale considération, sans égalité des droits humains et sans la solidarité des uns envers les autres pour garantir l’égale participation à la vie sociale et politique de l’ensemble des citoyens pour que chacun puisse exercer pleinement son métier d’humain (5).

________________________

(1) Aujourd’hui le montant du RSA pour une personne seule est de 607 €. en travaillant 15 heures par semaines c’est un revenu d’activité net de 550 € environ au SMIC. Mais le RSA n’est plus que de 58 €, diminution partiellement compensée par la prime d’activité de 334 €. La perte sur les aides est de 215 € ce qui revient à une taxation sur les revenus du travail de 39 % ! Le revenu d’activité net se réduit à 5,55 € au lieu de 9,11 €. Ce qui n’est pas un encouragement à une reprise d’activité.

(2) Rudger Bregman – Utopies Réalistes – Éditions du Seuil -2017 – page 37

(3) Rudger Bregman – Utopies Réalistes – Éditions du Seuil -2017 – page 64

(4) Une « capabilité » est, suivant la définition qu’en propose Amartya Sen, la possibilité effective qu’un individu a de choisir diverses combinaisons de « mode de fonctionnement ». Les « modes de fonctionnement » sont par exemple se nourrir, se déplacer, avoir une éducation, participer à la vie politique. Nicolas Journet synthétise le concept d’Amartya Sen en indiquant que la « capabilité » est « la possibilité pour les individus de faire des choix parmi les biens qu’ils jugent estimables et de les atteindre effectivement ». Il affirme que ce terme de « capabilité » contient, à lui seul, l’essentiel de la théorie de la justice sociale développée par Amartya Sen, et que « son écho auprès des instances internationales et des acteurs du développement humain en fait aujourd’hui une des raisons pour lesquelles le développement d’un pays ne se mesure plus seulement à l’aide du PIB par habitant » Wikipédia

( 5) Sylvie Portnoy Lanzenberg Notre métier d’humain, Éditions L’harmattan 2020 en référence à Albert Camus qui dans La peste écrit sur le « métier d’homme ».

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« Et le mal qu’ils vous font, c’est vous qui le leur fîtes » Victor Hugo 1871

1871- 2023: Rien ne change.

« Comment peut-il penser celui qui ne peut vivre ?  »

Telle est la question à laquelle il faudra bien répondre. L’allocation universelle d’existence, une idée dont l’heure est venue? Une urgence pour en finir avec cet apartheid social mortifère pour l’ensemble de la société. Les derniers événements tragiques devraient nous unir pour apporter une réponse à la hauteur de cette colère aveugle, de cette haine recuite, des dégâts matériels et humains qui nous submergent à intervalles réguliers.

Avec Victor Hugo, nous devons nous tous faire notre cet engagement:

 » C’est pourquoi j’ai pris la résolution

de demander pour tous le pain et la lumière. « 

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Allocation d’existence: de la redistribution verticale vers une redistribution horizontale

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Les contempteurs du revenu universel d’existence tue le débat avec l’évocation du coût exorbitant de sa mise en œuvre à l’échelle du pays. Ainsi pour un revenu de base de 1000 € pour les 68 millions d’habitants ce serait 816 milliards par an que l’État devrait débourser. Totalement impensable en effet.

La difficulté est que le problème est ici mal posé. Cet argumentation fallacieuse repose sur l’idée que l’État devrait allouer à tous les citoyens un revenu de base financé par l’impôt dans le cadre d’une redistribution verticale. En réalité il s’agit de substituer à cette redistribution par l’État une redistribution horizontale fondée sur le principe de solidarité universelle où chacun reçoit ce revenu de base et en même temps contribue en fonction de ses moyens en revenus et patrimoine.

Redistribution verticale: l’État tente de redistribuer ce qui mal distribué.

Après quarante années de politique économique libérale, les trous dans la raquette de la distribution de la richesse par la rémunération du travail sont de plus en plus nombreux. Pour tenter de venir en aide à toutes les victimes de ce système économique, l’État et les collectivités locales, par l’impôt, financent des minima sociaux( RSA, ASPA), des aides aux familles, des aides au travail pour le salarié (prime d’activité) et pour l’employeur (CICE, réduction Fillon). Aujourd’hui il existe plus de 50 aides non-contributives différentes, ciblées qui absorbent plus de 100 milliards d’euros, soit largement le montant de l’impôt sur le revenu payé par moins de la moitié des foyers fiscaux et de ce qui reste de l’ISF rebaptisé IFI.

Cette redistribution curative, à postériori, conditionnée, stigmatisante, familiarisée ne réussit pas à s’attaquer aux causes de la pauvreté et laisse autour de 10 millions de personnes sous le seuil de pauvreté dont plus de 2 millions de travailleurs. Par la complexité des procédures, de nombreux allocataires ne perçoivent pas ce à quoi ils ont droit. Lorsque les aides diminuent ou disparaissent quand les revenus d’activité augmentent ces « aides sociales  » constituent aussi une véritable trappe à l’inactivité et à l’assignation à résidence. Enfin et surtout elle divise la société en sous citoyens, les ayants-droits d’un côté, condamnés à vivre de la charité publique, et les contributeurs de l’autre, pendant qu’une minorité fait sécession à coup d’optimisation fiscale, ce qui induit amertume, ressentiment, méfiance et repli sur soi. D’une république unie et indivisible on passe progressivement à une république fragmentée façon puzzle.

Le système des aides sociales, c’est le moyen de faire taire les classes laborieuses qui prennent de plein fouet les ravages du capitalisme mondialisé.  C’est ce qu’écrivait déjà en 1907, Simmel, philosophe et sociologue allemand. [1]

Que faire ? Beaucoup d’organisations d’entraide et de solidarité réclament un revenu minimum garanti pour les plus démunis. C’est une première étape urgente, nécessaire mais il faut être plus ambitieux. Car un système qui n’aide que les pauvres creuse encore l’écart qui les sépare du reste de la société. Une politique pour les pauvres est une pauvre politique observe Richard Titmuss, théoricien de l’État social britannique. 

Deux sociologues suédois ont montré que les pays où les programmes gouvernementaux étaient le plus universels étaient ceux qui réduisaient le mieux la pauvreté. Les gens sont plus ouverts à la solidarité quand elle leur profite personnellement.

Nancy Fraser dans : « Qu’est-ce que la justice sociale ? » ouvre la voie: « Les remèdes correctifs à l’injustice sont ceux qui visent à corriger les résultats inéquitables de l’organisation sociale sans toucher à leurs causes profondes. Les remèdes transformateurs, pour leur part visent les causes profondes. » (…) « Combinant systèmes sociaux universels et imposition strictement progressive, les remèdes transformateurs, en revanche, visent à assurer à tous l’accès à l’emploi, tout en tendant à dissocier cet emploi des exigences de reconnaissance. D’où la possibilité de réduire l’inégalité sociale sans créer de catégories de personnes vulnérables présentées comme profitant de la charité publique. Une telle approche, centrée sur la question de la distribution, contribue donc à remédier à certaines injustices de reconnaissance. »

Redistribution horizontale: Tout le monde reçoit et tout le monde contribue

En partant du constat paradoxal suivant qu’il existe 10 millions de pauvres sous assistance de l’État et que, dans le même temps, l’ensemble du corps social est très riche : 1 600 milliards de revenus primaires et plus de 13 400 milliards de patrimoine,[2] rapport entre revenus et patrimoine inégalé depuis la fin du XIX°, sans perdre de vue le combat pour rééquilibrer en faveur du travail le partage de la valeur ajoutée, on peut dès à présent changer de pied en substituant à la redistribution actuelle, faite d’aides sociales organisée par l’État – dont le montant est supérieur au montant de l’impôt sur le revenu – une redistribution universelle horizontale transformatrice, préventive et inclusive administrée par une branche de la Sécurité sociale.

Le premier du mois on reçoit de quoi vivre décemment, en même temps on contribue en fonction de ses propres moyens ( rémunération du mois précédent, patrimoine accumulé jusqu’à ce jour) au financement de cette allocation d’existence.

Il n’en coûterait rien au budget de l’État puisqu’il n’aurait plus à venir en aide à tous les victimes du système économique et ainsi il pourrait se dispenser de lever l’impôt sur le revenu (I.R.) et l’I.F.I.

Globalement il n’en couterait rien aussi à l’ensemble du corps social puisqu’il s’agit d’une redistribution interne parmi l’ensemble des citoyens. Le transfert des plus riches vers les plus pauvres ne dépendant que du niveau des inégalités. Comme avec un jeu de 32 cartes au lieu de concentrer les cartes maîtresses dans une seule main, il s’agit au début de la partie de distribuer à chacun des joueurs un atout maître pour donner la même chance de gagner à chacun des protagonistes.

L’exemple suivant limité à 5 personnes avec un revenu de base de 1000 €, sans être une une proposition exhaustive, illustre parfaitement la différence entre redistribution verticale et redistribution horizontale.

Tableau 1 : Redistribution verticale par l’État

L’État distribue aux deux personnes les plus pauvres des aides sociales conditionnées aux revenus (1500 €) , aides fiancées par l’impôt sur les deux personnes les plus riches ( 1500 €).

Tableau 2 : Redistribution horizontale

A la fin du mois on met dans un pot commun en fonction des revenus de chacun ( 5000 € ) de quoi distribuer 1000 € par personne le premier du mois suivant. Le revenu global de l’ensemble du groupe ne change pas ( 10 000 € ). Le transfert des plus riches vers les plus pauvres est le même que le cas précédent ( 1500 €).

Dans ce cas il n’y a plus de stigmatisation, tout le monde reçoit de quoi assurer les conditions concrètes d’existence de manière préventive comme une véritable « avance sur recette ». A chacun de jouer sa partition pour créer de la richesse, en fonction de ses goûts et de ses compétences.

Le système curatif actuel où l’État n’intervient que lorsque l’on est victime de la précarité ou de la pauvreté est beaucoup plus douloureux et coûteux pour l’ensemble de la communauté. Il y a le coût direct de l’intervention de l’État en minima sociaux, aides aux familles, aides à l’emploi qui est déjà supérieur au recettes de l’impôt sur le revenu de l’I.F.I, il y a le coût de fonctionnement de l’administration de ces aides avec les nécessaires contrôles, il y a surtout les conséquences de la précarité et de la pauvreté sur l’ensemble de la société avec le développement des addictions, des maladies comme l’obésité, le diabète, etc…, le développement d’une économie criminelle et surtout l’incapacité pour toutes ces victimes de développer leur capabilité [3], d’être un acteur social dans la communauté politique et de créer aussi de la richesse.

Non seulement cette allocation universelle ne coûterait rien , elle serait aussi source d’économies dans les dépenses multiples pour tenter de soigner la société de tous ces maux. En libérant chacun et chacune de cette incertitude du lendemain qui nous « prend la tête » elle serait aussi un véritable investissement pour permettre à l’intelligence humaine de s’épanouir pleinement dans des activités choisies.

Il s’agit donc de substituer à la conditionnalité des aides d’État, qui assujettissent et divisent la société en ayants droit et contributeurs, la redevabilité naturelle de tous les membres à la communauté, qui, avec cette allocation universelle, ont les moyens de contribuer au bien commun pour garantir ce droit à l’existence.

Les hommes vivent et ne peuvent vivre que sur l’idée qu’ils ont quelque chose en commun où ils peuvent toujours se retrouver (…) un lieu commun où les hommes ont une solidarité toute prête. Albert Camus, Extrait de conférences et discours (1936-1958)



[1] Cité par Alice Zeniter dans Comme un empire dans un empire » Éditions Flammarion – 2020.


[2] INSEE: https://www.insee.fr/fr/statistiques/5432491?sommaire=5435421 https://www.insee.fr/fr/statistiques/5430978

[3] Une « capabilité » est, suivant la définition qu’en propose Amartya Sen, la possibilité effective qu’un individu a de choisir diverses combinaisons de « mode de fonctionnement ». Les « modes de fonctionnement » sont par exemple se nourrir, se déplacer, avoir une éducation, participer à la vie politique. Nicolas Journet synthétise le concept d’Amartya Sen en indiquant que la « capabilité » est « la possibilité pour les individus de faire des choix parmi les biens qu’ils jugent estimables et de les atteindre effectivement ». Il affirme que ce terme de « capabilité » contient, à lui seul, l’essentiel de la théorie de la justice sociale développée par Amartya Sen, et que « son écho auprès des instances internationales et des acteurs du développement humain en fait aujourd’hui une des raisons pour lesquelles le développement d’un pays ne se mesure plus seulement à l’aide du PIB par habitant » Wikipédia

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L’universel, l’inconditionnel, l’individuel et le commun

L’universel c’est forcément individuel et pour tout le monde. Si c’est pour tout le monde, c’est inconditionnel, car poser des conditions c’est exclure. Si tout le monde y a droit, c’est aussi un bien commun.

Un bien commun, c’est un bien universel auquel tout le monde a droit. Un bien commun, c’est une ressource partagée, gérée collectivement par une communauté dans le but de la préserver tout en permettant à tous et toutes de l’utiliser. Gaël Giraud, économiste.

Ainsi poser la question de la conditionnalité c’est poser la question de l’universalité.

Alors, pour appréhender cette belle idée d’un revenu universel d’existence versé sans contrepartie, il est important de définir ce qui est universel dans notre condition d’être humain, de ce qui est nécessaire à chacun, où qu’il soit, quoi qu’il fasse, pour être pleinement un acteur social dans sa communauté politique. Nécessités vitales qui fondent les droits universels à l’existence, tels que ceux définis dans l’article 25 de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948[1]. C’est en particulier le droit à l’accès aux soins médicaux tout au long de la vie, le droit à l’éducation et à l’instruction, le droit à un niveau de vie suffisant pour assurer l’alimentation, le logement, l’habillement pour soi et sa famille, l’accès à l’eau potable, à l’énergie, le droit de se déplacer librement. Ce sont des droits universels concrets, comme les appelle le philosophe Frédéric Worms,

  • Au 19° siècle en France on a compris que l’instruction devait être gratuite et ouverte à tous et toutes.  C’est un droit universel donc inconditionnel financé par l’État ;
  • Depuis 1945 l’accès aux soins devient aussi un droit universel et inconditionnel financé par les cotisations et l’impôt ;
  • En revanche le droit à un niveau de vie suffisant pour assurer les conditions concrètes d’existence est encore conditionné à l’exercice individuel d’un emploi correctement rémunéré.

C’est sur ce point que le bât blesse car le droit à un emploi correctement rémunéré est de moins en moins universel. Après plus de 40 années de politiques économiques néolibérales, à cause des délocalisations, , de l’automatisation et de la concentration de l’appareil de production et de la numérisation de l’économie, on est sommé d’être toujours plus performant dans une compétition internationale sans cesse exacerbée. Avec l’ubérisation de l’économie, le salariat mute progressivement en précariat. La généralisation de la sous-traitance, des emplois intérimaires, fragmente encore plus la classe ouvrière.

Pour assurer les conditions concrètes d’existence on est contraint d’accepter un emploi peu valorisant, voire nocif pour soi ou destructeur pour l’environnement.

Des droits comme l’accès aux soins, l’accès à l’instruction, l’universalité des allocation familiales, la garantie d’une retraite suffisante pour assurer le quotidien sont mis à mal. Les services publics qui assurent ces droits sont en grande souffrance. Au nom de la compétitivité, il faut réduire à tout prix les coûts, la cotisation sociale devient une « charge » sociale qu’il faut juguler, ouvrant ainsi la porte aux assurances privées individuelles.

Les victimes du grand marché sont de plus en plus nombreuses. Crise après crise, devant une distribution de la richesse par la rémunération du travail de plus en plus erratique, l’État est contraint en urgence, d’ajouter des aides aux aides et il en profite pour étendre son emprise sur ce qui reste de la Sécurité sociale, ce bien commun.  Ce patrimoine commun fait de droits sociaux s’érode ; au fil des crises il est remplacé par des aides sociales ciblées, conditionnées, familiarisées, stigmatisantes, complexes à mettre en œuvre, qui ne font qu’assujettir les individus et qui divise la société en citoyens de seconde classe, les ayants-droits d’un côté et les contributeurs de l’autre, véritable apartheid social où ceux qui réussissent s’arrogent le droit de dire aux perdants comment ils doivent dépenser le peu d’aides que l’État leur octroie, tout cela pendant qu’une petite minorité fait sécession à coup d’optimisation fiscale. « Le système des aides sociales, c’est le moyen de faire taire les classes laborieuses qui prennent de plein fouet les ravages du capitalisme mondialisé. »[2] C’est ce qu’écrivait déjà en 1907, Simmel, philosophe et sociologue allemand.

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Quand le travail rémunéré n’assure plus dans de bonnes conditions l’existence n’est-il pas temps de dissocier droit universel imprescriptible à l’existence et droit à l’emploi ?

Beaucoup d’organisations d’entraide et de solidarité réclament un revenu minimum garanti pour les plus démunis. C’est une première étape urgente, nécessaire mais il faut être plus ambitieux. Car un système qui n’aide que les pauvres creuse encore l’écart qui les sépare du reste de la société. Une politique pour les pauvres est une pauvre politique observe Richard Titmuss, théoricien de l’État social britannique. 

Deux sociologues suédois ont montré que les pays où les programmes gouvernementaux étaient le plus universels étaient ceux qui réduisaient le mieux la pauvreté. Les gens sont plus ouverts à la solidarité quand elle leur profite personnellement.

Une proposition est d’en finir avec les aides sociales administrée par l’État qui assujettissent, pour aller vers l’allocation d’un revenu d’existence émancipateur qui permet d’affronter les défis à venir.

 Pour la mise en œuvre de ce droit imprescriptible à l’existence indépendant des conditions sociales, familiales ou professionnelles et faire en sorte que personne n’en soit privé, il faut mettre en commun les ressources nécessaires dans une caisse commune, la Sécurité sociale, grâce à la contribution de tous les membres de la communauté suivant le principe de solidarité universelle où chacun contribue selon ses moyens en revenus et patrimoine à cette allocation d’existence.

Le système curatif actuel, où l’État n’intervient que lorsque l’on est une victime avérée de la précarité ou de la pauvreté, est beaucoup plus douloureux et coûteux pour l’ensemble de la communauté.

  • Il a le coût direct de l’intervention de l’État en minima sociaux, aides aux familles, aides à l’emploi qui est déjà supérieur au recettes de l’impôt sur le revenu de l’IFI,
  • il y a le coût de fonctionnement de l’administration de ces aides avec les nécessaires contrôles,
  • il y a surtout les conséquences de la précarité et de la pauvreté sur l’ensemble de la société avec le développement des addictions, des maladies comme l’obésité, le diabète, etc…, le développement d’une économie criminelle et surtout l’incapacité pour toutes ces victimes de développer leur capabilité[3], d’être un acteur social dans la communauté politique et ainsi de créer à leur tour de la richesse.

Rudger Bregman dans son livre Utopies réalistes[4] cite une expérience menée au Libéria. Pendant 3 ans on a donné sans conditions 200 € à un public particulier constitué de victimes d’addictions comme l’alcool ou autres drogues et de petits délinquants. Au final ils s’étaient libérés de leur addiction et ils avait créer de petites entreprises.

Greg Duncan, Professeur de l’Université de Californie[5] a calculé que si tirer une famille américaine de la pauvreté de manière préventive couterait 4500 $ par an, le « retour sur investissement » serait de :

  • 12,5 % d’heures travaillées en plus,
  • 3000 $ d’économie annuelle en frais de services sociaux,
  • 50 000 $ à 100 000 $ de revenu supplémentaire dans une vie,
  • 10 000 $ à 20 000 $ de revenus fiscaux de plus pour l’État.

Le 1er de chaque mois je reçois par anticipation de quoi vivre, à la fin du mois je contribue avec mes moyens à la caisse commune.

Il s’agit donc de substituer à la conditionnalité des aides d’État, qui assujettissent et divisent la société en ayants droit et contributeurs, la redevabilité naturelle de tous les membres à la communauté, qui, avec ce revenu universel, ont toutes leurs capacités pour créer de la valeur et ainsi de contribuer au bien commun pour garantir ce propre droit à l’existence.

Les hommes vivent et ne peuvent vivre que sur l’idée qu’ils ont quelque chose en commun où ils peuvent toujours se retrouver (…) un lieu commun où les hommes ont une solidarité toute prête. Albert Camus, Extrait de conférences et discours (1936-1958)

Cette allocation universelle d’existence   peut constituer la première page d’un programme de gouvernement, encore faut-il qu’elle permette à toutes et tous de s’affranchir de la charité publique. Car il ne peut y avoir de liberté ni de démocratie réelle sans égale considération, sans égalité des droits humains et sans la solidarité des uns envers les autres pour garantir l’égale participation à la vie sociale et politique de l’ensemble des citoyens pour que chacun puisse exercer pleinement son métier d’humain[6] et ne plus perdre son temps, son intelligence, son énergie, sa vie à essayer de la gagner. Pour, ne plus subir et pouvoir choisir pour pouvoir agir.

Il s’agit de construire un État social qui mise intelligemment sur l’épanouissement du capital humain plutôt que sur l’astreinte d’un emploi non choisi.  Philippe Van Parijs, philosophe, fondateur du B.I.E.N (Basic Income Earth Network).

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[1] Article 25 : Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.

[2] Cité par Alice Zeniter dans Comme un empire dans un empire – Éditions Flammarion – 2020

[3] Une « capabilité » est, suivant la définition qu’en propose Amartya Sen, la possibilité effective qu’un individu a de choisir diverses combinaisons de « mode de fonctionnement ». Les « modes de fonctionnement » sont par exemple se nourrir, se déplacer, avoir une éducation, participer à la vie politique. Nicolas Journet synthétise le concept d’Amartya Sen en indiquant que la « capabilité » est « la possibilité pour les individus de faire des choix parmi les biens qu’ils jugent estimables et de les atteindre effectivement ». Il affirme que ce terme de « capabilité » contient, à lui seul, l’essentiel de la théorie de la justice sociale développée par Amartya Sen, et que « son écho auprès des instances internationales et des acteurs du développement humain en fait aujourd’hui une des raisons pour lesquelles le développement d’un pays ne se mesure plus seulement à l’aide du PIB par habitant » Wikipédia

[4] Rudger Bregman – Utopies Réalistes – Éditions du Seuil -2017 – page 37

[5] Rudger Bregman – Utopies Réalistes – Éditions du Seuil -2017 – page 64

[6] Sylvie Portnoy Lanzenberg Notre métier d’humain, Éditions L’harmattan 2020 en référence à Albert Camus qui dans La peste écrit sur le « métier d’homme ».

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Partage de la valeur ajoutée et « taxe robot »

https://www.bfmtv.com/economie/faut-il-vraiment-taxer-les-robots-et-si-oui-comment_AN-201702210155.html

La richesse créée dans l’entreprise est le fruit à la fois de l’intelligence, des connaissances et des savoirs faire des êtres humains et de l’usage d’outils, de machines, de logiciels. Dans la plupart des cas les employés, les ouvriers, les salariés en général ne sont pas propriétaires de l’outil de production et la valeur ajoutée est partagée entre ceux qui créent cette valeur et les propriétaires du capital productif. Ainsi on distingue la masse salariale (salaires bruts et cotisations employeurs) et le bien nommé Excédent Brut d’Exploitation (E.B.E.) qui essentiellement rémunère les propriétaires du capital (dividendes, intérêts) abonde l’amortissement des machines, et provisionne les investissements.

En 40 années de politiques néolibérales avec la mise en concurrence des travailleurs du monde entiers, avec l’allègement des cotisations pour les entreprises, avec un outil de production de plus en plus gourmand en capitaux, avec l’explosion des emplois précaires avec l’ubérisation de l’économie, la part de la rémunération du travail n’a cessé de diminuer dans les pays de l’OCDE (tableau N°1). Dans le même temps la part des dividendes dans la valeur ajoutée a triplé.

Tableau 1

Le problème est que le financement de la protection sociale par les cotisations est à la charge exclusive de la rémunération du travail vivant, d’où la perte progressive des recettes des services sociaux (régimes de retraites, assurance maladie, assurance chômage). Chaque fois qu’un salarié est remplacé par une caisse automatique dans un supermarché, ce sont des cotisations en moins.

Ainsi pour pouvoir assurer les conditions concrètes d’existence de l’ensemble de la population et sans perdre de vue le combat pour rééquilibrer en faveur du travail le partage de la valeur ajoutée, on peut dès à présent changer de pied en :

  • D’une part, en substituant à la redistribution actuelle faites d’aides sociales conditionnées, organisée par l’État une redistribution universelle transformatrice, préventive et inclusive (Nancy Fraser),[1] administrée par une branche de la Sécurité sociale. Le tout, pour financer une allocation d’existence inconditionnelle et individuelle fondée sur le principe de solidarité universelle. (Lire la proposition d’allocation universelle )
  • D’autre part, en répartissant mieux la solidarité entre travail et capital dans le partage de la valeur ajoutée. Les machines qui remplacent de plus en plus les humains doivent aussi contribuer par une cotisation à l’existence des ouvriers qu’elles remplacent, comme le préconisait déjà Sismondi au début du XIX° siècle[2]. C’est aussi la proposition de « taxe robot » popularisée par B. Hamon en 2017. C’est tout le sens de la proposition suivante.

UNE PROPOSITION DE NOUVELLE RÉPARTITION DES COTISATIONS DANS LE PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTÉE.

Actuellement, en moyenne, la part de la rémunération du travail (salaires et cotisations employeurs) dans la valeur ajoutée ( VA) est de l’ordre de 68 % : 48 % de la VA pour les salaires bruts, autour de 20 % pour les cotisations. Pour l’essentiel les cotisations financent l’assurance maladie, l’assurance chômage, les régimes de retraites, les allocations familiales, les accidents du travail, la formation.

L’idée (tableau 2) est de déplacer l’assiette de certaines cotisations vers l’Excédent Brut d’exploitation. En effet il fait sens de positionner les cotisations chômage, formation, accident du travail et financement de l’allocation d’existence sur le capital productif, les machines qui remplacent l’ouvrier. Seules les cotisations pour les retraites et pour l’assurance maladie seraient assises sur les salaires. Si la charge globale moyenne de l’ensemble des cotisations sur la valeur ajoutée est constante (autour de 20 %), les PME, les jeunes entreprises, les entreprises à fort taux de main d’œuvre verront leur participation à la solidarité allégée aux dépens des entreprises plus capitalistiques.

Tableau 2


Cette proposition s’inscrit dans un projet d’allocation universelle d’existence, revenu de base qui remplacera avantageusement les allocations familiales actuelles et une part du montant des retraites financées par les cotisations. Elle a pour seul objectif d’adapter le financement de la protection sociale aux mutations en cours dans le monde du travail. 

UN EXEMPLE

Soit une petite entreprise qui emploie 13 salariés, 10 ouvriers, 2 techniciens avec un directeur ; Il s’agit d’étudier l’impact de la répartition des cotisations employeur, à la fois sur le salaire (25 % du salaire brut) et sur l’excèdent brut d’exploitation (21 % de l’EBE), , en prenant pour hypothèse un taux de marge brut (EBE/VA) de 20 % (inférieur au taux moyen de 31 %).

A la lecture du tableau 3 on note, avec cette nouvelle répartition des cotisations, une augmentation du taux de marge de 20 % à 23,4 %.

Tableau 3

Ce nouveau système de solidarité remplacerait les couteux allègements de « charges » qui pèsent sur le budget de l’État. Aujourd’hui cette entreprise bénéficierait du dispositif de réduction de charges pour les bas salaires (réduction des cotisations employeurs de 32 % environ pour le SMIC), mais outre le fait que ces allègements de charges grèvent le budget de l’État, ils sont une trappe à bas salaire car toute augmentation voit diminuer les aides. Au contraire dans la proposition de répartir les cotisations sur l’EBE, une augmentation de salaire aura pour conséquence une diminution de l’EBE brut et donc une diminution des cotisations sur l’EBE; ce qui compensera l’augmentation des cotisations sur les salaires.

Cette proposition qui accompagne l’instauration d’un revenu universel, en rendant plus compétitives les entreprises de service à taux élevé de main d’oeuvre non délocalisable, permet aussi d’aller à l’encontre de la « loi de Baumol [3]  » qui stipule qu’avec le progrès technique dans les secteurs industriels, le prix des biens dont la production est automatisée diminue tandis que celui des services dont la production n’est pas automatisable augmente : les gains de productivité générant des hausses de salaires qui s’étendent progressivement à tous les secteurs. C’est ainsi par exemple que le prix des véhicules automobiles diminue et qu’en revanche le coût des réparations augmente… Ce qui a pour conséquence de diminuer la durée de vie des véhicules et d’accroitre le gaspillage des ressources.

Changer de paradigme avec un revenu d’existence et une meilleure prise en charge des cotisations sociales, c’est aussi comprendre, comme le suggérait déjà Charles Léonard de Sismondi, que la machine qui remplace l’homme et crée de la richesse à sa place doit contribuer à la solidarité de toutes et tous.

Il reste à convaincre à la fois le monde ouvrier et ses organisations, comme les responsables politiques qu’il est bien minuit moins cinq pour éviter le naufrage de notre système de protection sociale.


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[1] Comme l’écrit Nancy Fraser dans : « Qu’est-ce que la justice sociale ? » : « Les remèdes correctifs à l’injustice sont ceux qui visent à corriger les résultats inéquitables de l’organisation sociale sans toucher à leurs causes profondes. Les remèdes transformateurs, pour leur part visent les causes profondes. » ( …) « Combinant systèmes sociaux universels et imposition strictement progressive, les remèdes transformateurs, en revanche, visent à assurer à tous l’accès à l’emploi, tout en tendant à dissocier cet emploi des exigences de reconnaissance. D’où la possibilité de réduire l’inégalité sociale sans créer de catégories de personnes vulnérables présentées comme profitant de la charité publique. Une telle approche, centrée sur la question de la distribution, contribue donc à remédier à certaines injustices de reconnaissance. »

[2] D’après la thèse de Jean de Sismondi, (1773- 1842) l’introduction de nouvelles machines ne profite qu’au patronat. En effet, les profits grossissent alors que les salaires restent les mêmes. Il considère que cette augmentation des capacités de production va mener à des faillites : la consommation ne peut pas suivre le surplus de production puisque les ouvriers ne sont pas payés à leur juste valeur. Sismondi considère que l’inégal partage des richesses est doublement néfaste : c’est injuste et cela provoque des crises de surproduction. Il pense alors à faire augmenter les salaires grâce aux surprofits que crée la machine qui remplace l’ouvrier, en réduisant le temps de travail et en interdisant le travail des enfants. (Wikipédia)

[3]  Lire la Fiche n° 4a, p. 76, Revenu de base comment le financer ? Ouvrage collectif MFRB, Éditions Yves Michel, 2016

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Pour une Sécurité sociale vraiment universelle !

https://www.securite-sociale.fr/la-secu-cest-quoi/3-minutes-pour-comprendre

I.INTRODUCTION

« La sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain, de cette incertitude constante qui crée chez eux un sentiment d’infériorité et qui est la base réelle et profonde de la distinction des classes entre les possédants sûrs d’eux-mêmes et de leur avenir et les travailleurs sur qui pèse, à tout moment, la menace de la misère. …Envisagée sous cet angle, la Sécurité sociale appelle l’aménagement d’une vaste organisation nationale d’entraide obligatoire qui ne peut atteindre sa pleine efficacité que si elle présente un caractère de très grande généralité à la fois quant aux personnes qu’elle englobe et quant aux risques qu’elle couvre. Le but final à atteindre est la réalisation d’un plan qui couvre l’ensemble de la population du pays contre l’ensemble des facteurs d’insécurité. »

Tel est l’énoncé de l’exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945 qui esquissait déjà ce que devait être une Sécurité sociale universelle, la garantie d’un droit imprescriptible à une vie digne en toute circonstance, en assurant à tous les membres de la communauté les conditions concrètes d’existence.

 77 ans plus tard et après plus de 40 ans de politiques économiques néolibérales, le but final à atteindre non seulement s’est éloigné mais des droits comme l’accès aux soins, l’accès à l’instruction, l’universalité des allocation familiales, la garantie d’une retraite suffisante pour assurer le quotidien sont mis à mal. L’hôpital comme l’école sont en souffrance. Au nom de la compétitivité, il faut réduire à tout prix les coûts, la cotisation sociale devient une charge sociale qu’il faut juguler, ouvrant ainsi la porte aux assurances privées individuelles. Sous la menace permanente du chômage, de plus en plus réelle à cause des délocalisations, de la concentration, de l’automatisation de l’appareil de production et de la numérisation de l’économie, on est sommé d’être toujours plus performant dans une compétition internationale sans cesse exacerbée. La généralisation de la sous-traitance, des emplois intérimaires, fragmente encore plus la classe ouvrière. A la solidarité universelle s’impose la guerre de tous contre tous. Au fil du temps et des crises la sécurité sociale mute peu à peu en insécurité sociale. Les victimes du grand marché sont de plus en plus nombreuses et, crise après crise, l’État et contraint en urgence d’ajouter des aides aux aides et il en profite pour étendre son emprise sur ce qui reste de la Sécurité sociale, ce bien commun.  Ce patrimoine commun fait de droits sociaux s’érode ; il est remplacé par des aides sociales conditionnées, familiarisées, complexes à mettre en œuvre, qui ne font qu’assujettir les individus. « Le système des aides sociales, c’est le moyen de faire taire les classes laborieuses qui prennent de plein fouet les ravages du capitalisme mondialisé. » [1] C’est ce qu’écrivait déjà en 1907, Simmel, philosophe et sociologue allemand.

En quatre décennies on est passé d’un système de Sécurité sociale fondé sur le principe de solidarité à une protection sociale fondée sur la charité publiqueAlain Supiot[2] Après les conquêtes sociales de 36, 45, 68, 81, c’est le retour à la case départ. Tout est à reconstruire.

II.LES FONDEMENTS D’UNE SÉCURITÉ SOCIALE UNIVERSELLE

  • Que faire quand la distribution de la richesse par le travail (salaires et cotisations) est de plus en plus erratique, que l’insécurité sociale règne alors que la richesse créée n’a jamais été aussi importante ?
  • Comment passer d’une aumône d’État qui assujettit à l’exercice d’un droit universel qui élève ?
  • Comment assurer à tous les membres de la communauté, en toutes circonstances les conditions concrètes d’existence ? Comment atteindre ce« but final qu’est la réalisation d’un plan qui couvre l’ensemble de la population du pays contre l’ensemble des facteurs d’insécurité. »

Le philosophe marxiste Daniel Bensaïd souligne l’impérieuse nécessité de la socialisation d’une part des revenus :

« La division sociale complexe du travail devrait permettre une socialisation accrue du revenu et une extension des solidarités. Ce serait le sens d’un revenu universel garanti déconnecté́ du travail, non dans sa version libérale d’une aumône de survie mais dans une logique du droit à l’existence et de l’extension des domaines de gratuité. »[3]

 Pour cela, il nous faut partir du constat paradoxal suivant :

  1. Qu’aujourd’hui, le travail ne paie plus alors que la rémunération du capital explose mais la solidarité par les cotisations est toujours totalement assise sur les salaires,
  2. Qu’il existe 10 millions de pauvres sous assistance de l’État et dans le même temps l’ensemble du corps social est très riche : 1 600 milliards de revenus primaires et plus de 13 400 milliards de patrimoine, rapport entre revenus et patrimoine inégalé depuis la fin du XIX°.

Ainsi sans perdre de vue le combat pour rééquilibrer en faveur du travail le partage de la valeur ajoutée, on peut dès à présent changer de pied en :

  1. D’une part, répartissant mieux la solidarité entre travail et capital dans le partage de la valeur ajoutée – les machines qui remplacent de plus en plus les humains doivent aussi contribuer par une cotisation à l’existence des salariés qu’elles remplacent, comme le préconisait déjà Sismondi au début du XIX° siècle[4] et B. Hamon avec la taxe robot.
  2. D’autre part, en substituant à la redistribution actuelle, faite d’aides sociales organisée par l’État une redistribution universelle transformatrice, préventive et inclusive (Nancy Fraser)[5] administrée par une branche de la Sécurité sociale.
  3. Le tout, pour financer une allocation d’existence inconditionnelle (AUE) et individuelle fondée sur le principe de solidarité universelle : Chacun contribue en fonction de ses moyens (en revenus et en patrimoine) à la satisfaction des besoins élémentaires de l’ensemble de la communauté.
  4. A revenu universel, contribution universelle.

Ce revenu dissocié de l’emploi, socialisé, véritable salaire de vie, doit être d’un montant suffisant pour éradiquer tout au long de la vie la pauvreté en se substituant à toutes les aides non contributives, conditionnées financées par le budget de l’État (jamais de revenu individuel par unité de consommation < 1200 €) et ainsi « débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain, de cette incertitude constante qui crée chez eux un sentiment d’infériorité. »

Tableau 1 : Exemple de distribution de l’AUE suivant l’âge

Ce n’est plus le montant de l’aide qui est négociable mais son financement. Le 1er de chaque mois on reçoit inconditionnellement de quoi vivre dignement, à la fin du mois on contribue en fonction de la rémunération de son activité, de son patrimoine, au financement de cette allocation vitale.

Son financement peut être assuré :

  • Par une contribution progressive sur tous les revenus, d’activité et du patrimoine qui remplace l’impôt sur le revenu,
  •  Par une contribution progressive sur le patrimoine net privé qui se substitue à l’I.F.I. 
  • Et une cotisation sur le capital productif, l’EBE. Qui remplace la cotisation des AF sur le salaire.

Tableau 2 : Exemple de contribution

Tableau 3 : Les montants mobilisés

Ainsi il n’en coûterait rien à l’État qui serait dispenser de toutes ces aides sociales qui absorbe plus que la totalité de l’impôt sur le revenu ; seul l’ensemble du corps social serait sollicité suivant le principe de solidarité universelle qui ne demanderait qu’un effort supplémentaire à 5 % des foyers fiscaux les plus dotés en revenus comme en patrimoine.

Une fois mise en place cette nouvelle branche de la Sécurité sociale qui remplacerait l’actuelle CAF et qui distribuerait à toutes les étapes de la vie, de la naissance à la mort, de quoi répondre aux nécessités vitales, il est possible de réorganiser les autres branches (retraites, assurance maladie, allocations familiales) autour de ce pilier central.

III. LE FINANCEMENT DES RETRAITES N’EST PLUS UN PROBLEME

L’allocation universelle assure à chacun et chacune indépendamment de l’activité professionnelle une retraite de base de 1200 €. Elle remplace avantageusement l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) qui est conjugalisée et conditionnée aux revenus.

  • Elle corrige l’inégal accès au marché du travail et les inégalités de genre des salaires et des carrières professionnelles.
  • Elle exerce, en l’amplifiant, la fonction redistributive du système de retraite actuel.
  • Enfin, la dissociation entre allocation d’existence et pension de retraite d’activité permet d’unifier le système actuel autour du seul régime de base de la Sécurité sociale, financé par la répartition des cotisations des actifs. Aujourd’hui, le système de retraite repose sur deux piliers : le régime général et le régime des retraites complémentaires (Arcco et Agirc). Demain, avec cette allocation d’existence, le régime général par répartition des cotisations suffirait à lui seul à assurer une pension, fruit du travail durant son existence. On a ainsi une retraite socialisée fondée sur la solidarité universelle avec l’AUE et une retraite individuelle à l’image de sa propre carrière professionnelle.
  • On dissocie la fonction redistributive assurée par ce revenu d’existence universel et la fonction rétributive qui serait assurée par le régime général. Dans ce nouveau paradigme à l’allocation universelle d’existence individuelle de 1200 € s’ajouterait une retraite du seul régime de base qui avec une cotisation retraite de l’ordre de 20 % (10 % employeur – 10 % salarié), sur tous les salaires, permettrait d’assurer une retraite d’un montant supérieur à celui du régime général actuel.
  • En proposant une solution pérenne, elle permet dans finir avec les contre-réformes des retraites, dont la dernière en date vise à repousser de deux ans l’accès au droit à une retraite et à allonger la durée de cotisation.

Tableau 4 : Exemple pour un couple de retraité

IV.AVEC LES ENFANTS PLUS BESOIN D’ÊTRE AIDÉ

L’allocation d’existence, à la naissance de 1800 € et dès le premier enfant de 350 € jusqu’à 14 ans et 500 € de 14 à 18 ans, se substitue avantageusement à la fois à ce qu’il reste des allocations familiales et à toutes les aides complémentaires (PAJE, ARS, Allocation parent isolé, etc…) elle permet par exemple à une maman solo de concilier obligations familiales et l’exercice d’un métier.

Tableau 5 : Exemple d’une situation familiale avec enfants

V.VERS UNE COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE A 100 %

Avec la diminution du montant des cotisations pour la retraite, il est possible d’envisager d’augmenter le taux de cotisation pour l’assurance maladie, taux qui pour les actifs et les retraités intégrerait à la fois la CSG et la cotisation pour une assurance complémentaire privée ou pour une mutuelle dont le montant dépend des risques et de l’âge.

Avec une cotisation de 20 % sur l’ensemble des revenus d’activité́ (salaire brut, 5 % employé́ -15 % employeur, retraite, allocations chômage) on peut escompter une enveloppe de 250 milliards d’euros. Cela permet de couvrir l’ensemble des dépenses de santé sans avoir à recourir à des mutuelles complémentaires.

Ainsi pour un employé avec un salaire moyen brut de 3000 €, dans l’exemple développé dans cet article le tableau des cotisations, en considérant l’AUE comme une cotisation négative, montre que l’ensemble des prélèvements de solidarité ne seraient pas plus élevé avec l’AUE

Tableau 6 : Évolution des cotisations

VI.UNE ALLOCATION ÉMANCIPATRICE

Qui permet :

  • d’aller vers la civilisation du temps libéré chère à A. Gorz avec un meilleur partage des emplois et une réduction drastique du chômage avec la réduction du temps de travail. Pour cela lorsqu’on est au SMIC on doit pouvoir, avec le revenu universel, gagner plus en travaillant moins pour vivre mieux.

Tableau 7 : La semaine de 4 jours

  •  d’envisager une transition écologique vers un monde plus frugal, à la fois respectueux des êtres humains comme de l’environnement et des ressources terrestres, il doit offrir la possibilité à chacun de faire les choix les plus pertinents pour la collectivité, tant dans son rôle de producteur comme celui de consommateur. Quand la vie n’est plus soumise au chantage de l’emploi et de l’argent, le revenu universel permet de se libérer d’une économie productiviste nocive pour l’environnement pour aller vers une économie plus qualitative.

Il s’agit de construire un État social qui mise intelligemment sur l’épanouissement du capital humain plutôt que sur l’astreinte d’un emploi non choisi.  Philippe Van Parijs, philosophe, fondateur du B.I.E.N (Basic Income Earth Network.

VII.POUR L’ENTREPRISE DES COTISATIONS MIEUX REPARTIES

Aujourd’hui alors que les machines remplacent de plus en plus l’ouvrier, les cotisations sont toujours entièrement assises sur les salaires ce qui a justifié pour le gouvernement sous la présidence Hollande l’instauration du CICE qui allège les cotisations pour les bas salaires par une prise en charge de l’État.

 En ne conservant sur le salaire brut que la cotisation retraite (10 %) et la cotisation maladie (15 %) et en déplaçant les cotisations chômage, formation et accident de l’assiette des salaires à celle de l’EBE brut avec la nouvelle cotisation pour l’AUE (10 % EBE ) ont fait participer le capital à cette solidarité universelle et à la couverture de l’ensemble des  risques .

Le partage de la valeur ajoutée entre la rémunération du travail et l’excédent brut d’exploitation serait reconfiguré comme le montre le schéma suivant

Tableau 8 : Partage de la valeur ajoutée

La réduction des cotisations sur les salaires est compensée par les cotisations sur la rémunération du capital, l’EBE. Dans le cas d’un taux de marge moyen de l’ordre de 30 %, le poids des cotisations serait globalement inchangé́. En revanche, lorsque le taux de marge est plus faible (PME, entreprises récentes ou avec beaucoup de main-d’œuvre), le poids des cotisations sera moindre. A contrario, une grande entreprise avec peu de salaries, très automatisée, avec un taux de marge important contribuera davantage à la protection sociale

VIII.CONCLUSION

Ainsi répétons-le il n’en coûterait rien au budget de l’État, on ne change pas globalement la profitabilité des entreprises et on renforce les budgets des différentes branches de la sécurité sociale tout cela grâce à ce principe de solidarité universelle qui ne demanderait qu’un effort supplémentaire de 5 % des foyers fiscaux les plus dotés en revenus comme en patrimoine. Avec un meilleur partage des emplois par une réduction du temps de travail rendue possible avec l’AUE, le chômage diminuera. Avec cette assurance retrouvée, la possibilité de choisir ses activités, sa profession, le stress diminuera, l’usage de béquilles médicamenteuses, les addictions, les accidents, les maladies professionnelles seront moins fréquentes, les dépenses de l’assurance maladie diminueront.

Après la crise sanitaire de 2020-2022 qui a révélé aux yeux de tous les dégâts de quarante années d’abandon du bien commun, l’ensemble des forces sociales ne peuvent continuer à être spectatrices de leur propre anéantissement.[6] Il faut être force de propositions pour se réapproprier ce qui doit nous être le plus cher : l’exercice d’un droit à une vie digne en toute circonstance.

Face aux mutations en cours dans le monde du travail comme aux défis environnementaux à surmonter dans les années à venir, faire de la diversion, continuer de temporiser, de ne pas s’attaquer à une réforme systémique de la protection sociale est totalement irresponsable.

Cette nouvelle Sécurité sociale universelle peut et doit constituer le premier dénominateur commun d’un programme de gouvernement, encore faut-il qu’elle permette à toutes et tous de s’affranchir de la charité publique qui vous oblige. Car il ne peut y avoir de liberté ni de démocratie réelle sans égale considération, sans égalité des droits humains et sans la solidarité des uns envers les autres pour garantir l’égale participation à la vie sociale et politique de l’ensemble des citoyens, pour pouvoir choisir, pour pouvoir agir tant qu’il est encore temps avant d’être contraint à ne manger que du malheur.

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[1] Cité par Alice Zeniter dans Comme un empire dans un empire» Éditions Flammarion – 2020

[2] Alain Supiot : Des urnes au travail, nous assistons à la sécession des gens ordinaires – Le Figaro, 22/07/2022

[3] Daniel Bensaïd, Éloge de la politique profane, Éditions Albin Michel, 2008, p49

[4] D’après la thèse de Jean de Sismondi, (1773- 1842) l’introduction de nouvelles machines ne profite qu’au patronat. En effet, les profits grossissent alors que les salaires restent les mêmes. Il considère que cette augmentation des capacités de production va mener à des faillites : la consommation ne peut pas suivre le surplus de production puisque les ouvriers ne sont pas payés à leur juste valeur. Sismondi considère que l’inégal partage des richesses est doublement néfaste : c’est injuste et cela provoque des crises de surproduction. Il pense alors à faire augmenter les salaires grâce aux surprofits que crée la machine qui remplace l’ouvrier, en réduisant le temps de travail et en interdisant le travail des enfants. (Wikipédia)

[5] Comme l’écrit Nancy Fraser dans : « Qu’est-ce que la justice sociale ? » : « Les remèdes correctifs à l’injustice sont ceux qui visent à corriger les résultats inéquitables de l’organisation sociale sans toucher à leurs causes profondes. Les remèdes transformateurs, pour leur part visent les causes profondes. » (…) « Combinant systèmes sociaux universels et imposition strictement progressive, les remèdes transformateurs, en revanche, visent à assurer à tous l’accès à l’emploi, tout en tendant à dissocier cet emploi des exigences de reconnaissance. D’où la possibilité de réduire l’inégalité sociale sans créer de catégories de personnes vulnérables présentées comme profitant de la charité publique. Une telle approche, centrée sur la question de la distribution, contribue donc à remédier à certaines injustices de reconnaissance. »

[6]              Barbara Stiegler : Il faut s’adapter-sur un nouvel impératif politique, Éditions Gallimard, 2019, Page 276 :  Privés à la fois des moteurs de la réforme et de la révolution, les partis dits progressistes sont un peu partout désarmés, assistant médusés à une troublante perturbation des signes, semblant les condamner soit à l’adhésion passive à la « révolution » néolibérale, soit à la lutte réactive contre ses « réformes » et pour la défense du statu quo. Les anciens conservateurs mutent en progressistes, tandis que les anciens progressistes sont dénoncés comme conservateurs. 

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