Le Revenu de base, des auteurs contre, des auteurs pour.

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Alain Véronèse,  Mars 2019

Des livres et des idées

Le revenu de base, sous différents noms, nourrit fort bien l’actualité éditoriale. Ci-dessous, trois recensions sur le thème. Un auteur français farouchement contre, un résident anarchiste en Grande Bretagne révolutionnairement pour, un américain (USA), futur candidat à l’élection présidentielle, prenant les dimensions des disruptions productives propose un revenu de base financé principalement par l’instauration d’une TVA, taxe qui n’existe pas aux USA. Arguments à considérer, ou a réfuter après documentation consistante.

1. LE REVENU DE BASE DOIT DEVENIR UN INTERDIT AUSSI FORT QUE L’INCESTE.

Fichtre ! Qu’est-ce titre dans un site dédié à la défense du revenu de base ? Guy Valette a-t-il perdu le nord ? Grosse fatigue pour cause de fréquentation immodérée du MFRB ? Non, lors de notre dernière entrevue il avait l’air dans son assiette.

Je peux donc, sans trop de risques, lui proposer une recension distancée du livre de Laurent Alexandre « La guerre des intelligences »(J.-C Lattès, 2018), un argumentaire transhumaniste favorable à « l’homme augmenté ». La guerre des intelligences est celle de l’intelligence humaine (non augmentée) et l’intelligence artificielle qui, en puissance, croit chaque jour. Le sapiens à l’ancienne ne pourra pas suivre le rythme du « progrès » en accélération constante.

Nonobstant l’émergence d’un élitisme assumé, le livre de Laurent Alexandre, parmi diverses thèses audacieusement « high-tech », procède à un démontage du revenu de base dont nous ne pouvons négliger les impacts sociaux et politiques. Quelques lignes ci-dessous comme exercice pour, en connaissance de cause, préparer une contre offensive.

Laurent Alexandre a ses entrées dans dans nombreux journaux, il dirige plusieurs sites médicaux sur internet. Un homme de grande influence qui au nombre de ses amis compte Jacques Attali et Emmanuel Macron, c’est dire l’envergure… Courage !

S’associant à nombre d’auteurs (1) diagnostiquant la réduction drastique du travail nécessaire dans une production largement automatisée, la disruption en gestation n’a pas encore délivrée toutes ses promesses, déployée toutes ses menaces, c’est selon…

La révolution numérique est présente dans de nombreuses pages. « Les premiers bousculés par ce raz-de-marée d’innovations sont ceux qui pratiquent des professions « ordinaires », qu’il s’agisse de conduire, de servir dans un restaurant ou donner des soins infirmiers. La technologie va, avec le temps réduire le nombre d’emplois. (p.135). Plus récemment encore, « Mark Zukerberg dans un discours devant les étudiants de Harvard a décrit les dizaines de milliers d’emplois que l’IA (Intelligence Artificielle) allait détruire (p. 145). Destructions massives des emplois, disruption accélérée… tendances lourdes, aujourd’hui amplement documentée (1).

Nonobstant, Laurent Alexandre est farouchement contre le revenu universel (ou de base) ce, avec des arguments dérangeants. Allons voir.

Le revenu universel doit devenir un interdit aussi fort que l’inceste.

Après une visite en Californie, l’auteur constate : « La Silicon Valley et l’ensemble de la côte ouest des Etats-Unis ont bien compris que nous traversons une révolution économique inédite. La plupart des milliardaires du numérique défendent désormais le revenu universel.[…] Compte tenu du risque de réduction rapide des emplois et de l’explosion du chômage, émerge la crainte d’une révolte populiste,voire d’une révolution modèle 1793 » (p. 143,145).

Le revenu universel serait alors conçu comme investissement sécuritaire : « Le RU serait une façon commode de confiner les dites masses dans le calme et l’apathie, laissant les meneurs du monde dans la quiétude de leur entre-soi. » (p.145).

On ne peut, même avec réticence, écarter totalement ce scénario d’un « meilleur de mondes », où un revenu minimum, distractions abondantes, popularisation d’un érotisme diffus, le tittytaiment de Zbigniew Brzezinski, permettrait aux « augmentés » de demain d’évoluer dans un monde à part, isolé, coupé des agitations molles de la plèbe subventionnée. Selon Laurent Alexandre, le RU serait une subvention canapé pour encourager à la somnolence désocialisée. C’est pour s’éloigner de cette tiédeur

quasi fœtale qu’il faut interdire fermement le revenu de base, « à proscrire comme l’inceste » et autres lâches tentations régressives.

Nous sommes ici fort loin d’André Gorz qui pensait les modalités du revenu de base comme un investissement pour encourager une politique inventive, générative, premiers jalons pour « Bâtir la civilisation du temps libéré » (éd. LLL, 2013).

Avec prudence, Laurent Alexandre concède qu’un RU temporaire pourrait permettre à certains de suivre une formation qui les rendent compatibles avec l’Intelligence Artificielle (IA), productifs comme auxiliaires de la robotique ? Il faut rester sur la brèche, monter au créneaux : « L’absence d’effort intellectuel dégrade rapidement la neuroplasticité » (p.147). Le RU comme subvention canapé – Alexandre est incapable d’imaginer autre chose que l’avachissement pour ceux qui seraient largement libérés de la contrainte d’avoir à travailler pour mériter de vivre. C’est, selon lui, la raison majeure pour laquelle « il faut faire du revenu universel un interdit aussi fort que l’inceste.» (p.149)

La neuroamélioration c’est l’avenir du (sur) homme.

L’homo-sapiens ordinaire, vous et moi, un quidam dépassé, franchement ringuard.  «C’est tôt, dès l’école primaire que la connaissance des caractéristiques génétiques des enfants permettra de paramétrer plus finement l’enseignement puisque notre façon d’apprendre dépend largement de notre ADN. Une révolution culturelle s’annonce pour les professeurs qui ne s’imaginaient pas un jour lire dans les cerveaux et le ADN des enfants » (p.163). Ébouriffant, non ?

Science fiction ou courte anticipation d’un a-venir proche ?

Avec l’aplomb que donne l’aisance financière et la réputation scientifique, l’auteur de continuer avec autorité.

« L’augmentation deviendra incontournable, sauf pour les chimpanzés du futur « (1) . «Imaginons le fossé qui pourrait se créer en l’espace d’une génération entre les parents non augmentés – vous et moi – et une progéniture dotée de 50 ponts de QI supplémentaires ? » (p.165).

Mouais… à supposer qu’il en soit ainsi demain, l’accession à la sur-humanité risque fort de ne pas être à la portée de toutes les bourses. Le revenu de base (RU) en cette optique ? Une peccadille pour aider la survie des domestiques au service des nantis du QI. Pour le mieux… ou pour le pire ?

Le RU de l’auteur, n’est pas le revenu de base du MFRB, il ne s’accompagne d’aucune réforme fiscale, la réduction du temps de travail que pourrait permettre la formidable productivité robotique et intelligence artificielle, n’est aucunement mentionnée. L’analyse est d’obédience libérale-libertaire. On aime ou pas.

***

Sur un autre versant politique, quelques lignes ci-dessous pour présenter un libertaire plus anarchiste que libéral. Sa présentation du revenu de base est à l’exact opposé de celle de Laurent Alexandre. Il s’agit de David Graeber auteur de « Bullshit jobs », « Boulots de merde » en langue verte (éditions LLL 2018). Gros succès de librairie. Mérité. Traversée de quelques pages, citations choisies.

2. UN REVENU UNIVERSEL DE BASE D’UN MONTANT SUFFISANT.

Selon Graeber, le revenu universel de base (RuB) ne procède en rien de la charité, n’est pas même un secours provisoire concédé aux plus démunis, il vise une transformation radicale du rapport au travail-

emploi, c’est donc un investissement pour un changement de société (in fine, c’est l’abolition du salariat qui est souhaité, nous allons le voir plus loin dans le texte).

Citation à l’appui:

« Un système de revenu universel de base (RuB) doit allouer à chacun un montant suffisant pour permettre de vivre décemment. Et surtout doit être totalement inconditionnel . Tout le monde doit y avoir droit […] De cette façon, on instaurera un droit humain et non une aumône ou un simple rafistolage. »(p.384, 385).

Et de continuer, intransigeant sur le principes : « Au bout du compte, la proposition centrale du Rub, c’est de déconnecter les moyens de subsistance du travail. Une conséquence immédiate pour les pays qui l’instaureraient serait un recul massif des procédures bureaucratiques. En effet, le cas de Leslie [une assistante/contrôleuses sociale qui a confié son malaise au travail] montre qu’une part démesurée de la machinerie bureaucratique gouvernementale […] ne sert qu’à maintenir les pauvres dans leur situation humiliante. Et ce petit jeu au coût moral exorbitant soutient une « machine à travailler » mondiale largement inutile. » (p.385).

Graeber entend préserver les prestations sociales instituées : « La version d’extrême gauche [du RuB] suppose le maintien des protections inconditionnelles existantes. » (id.). Rejoignant sur ce point le MFRB, retraites, sécurité sociale,… pour Graeber les « acquis sociaux » sont maintenus.

Parmi les effets collatéraux du Rub, il faut envisager la disparition de nombreux emplois [ce qui ne mème pas automatiquement à une augmentation du chômage, pour autant qu’une vigoureuse réduction du temps de travail permette l’embauche dans les secteurs de réelles utilités sociales].

« C’est vrai, des millions de petits agents publics, tels les « conseillers en prestations sociales » verraient leur job disparaître. Mais, ils recevraient le revenu de base comme tout le monde, et peut être certains se trouveraient une occupation réellement importante, qu’il s’agisse d’installer des panneaux solaires, ou de découvrir un remède conte le cancer. Et même de monter un groupe de percussion sur bidons, d’essayer de battre le record d’activité sexuelle à un âge avancé, de se lancer dans la restauration de meubles anciens, la spéléologie, la traduction de hiéroglyphes mayas,… ce ne serait pas plus grave que cela. Laissons-les faire ce qu’il leur chante ! «  (p.387,388). [nous soulignons].

Ce qu’il faut instaurer c’est un revenu « d’un montant qui permet de vivre décemment. Déconnecté de l’emploi » (p.384).

Graeber, rejoint un américain qui n’aimait pas le travail : Henri-David Thoreau n’hésite pas à préconiser la disparition de nombre d’ emplois inutiles, voire néfastes : « Avec l’instauration d’un Rub, – précisément les services les plus intrusifs et les plus ignobles, ceux qui se spécialisent dans la surveillance morale des citoyens ordinaires – perdraient leur raison d’être et fermeraient leurs portes. C’est précisément pour cette raison, qu’en tant qu’anarchiste je suis favorable au Revenu de base »(p.387).

L’accès au revenu de base, c’est de l’argent pour inventer un nouvel usage du temps : « Comme l’avait bien noté Orwell, une population occupée à travailler même à des tâches inutiles n’a guère le temps pour quoi que ce soit d’autre. » (p.392). A qui profite le maintien de nombre de boulots à la con ?

Monsieur Macron, trouve que les français ne travaillent pas assez (avril 2019), une déclaration prévisible : il lui faut bien renvoyer l’ascenseur à ses amis milliardaires qui lui ont payé une place de Président…

Mais le meilleur de Graeber se trouve dans un passage par la science fiction. Aperçu ci-dessous.

Mémoires d’un voyageur de l’espace, Stanilas Lem.

Extraits tirés de l’édition française de S. Lem, éditions Denoël, 1994, « Autres mondes, autres mers » (p.112,114).

Nous reprenons les citations faites par Graeber. Les observations faites par le voyageur de S. Lem. Dialogue. Deux protagonistes de la fiction futuriste.

– « Au fur et à mesure que dans les fabriques, apparaissaient les nouvelles machines les Boulonniers [les travailleurs] par milliers perdaient leur travail et ne touchant plus de salaire, n’avaient plus comme perspective que d’être condamnés à mourir de faim…

– Pardon, idiot,demandais-je, Que deviennent les revenus qu’apportaient les fabriques ?

– Comment ça, repartit mon interlocuteur. Les revenus revenaient aux propriétaires légitimes, aux Eminents . Donc, comme je te disais, la menace de mort se mit à planer…

– Mais que dis-tu là, digne idiot, m’écriais-je. Il suffit de faire des usines la propriété commune pour que les nouvelles machines se transforment en bénédiction pour tout le monde ! [Nous soulignons…]

-… Je t’en conjure voyageur venu d’ailleurs, ne profère pas d’hérésies aussi effroyables, qui ne sont rien d’autres qu’un vile atteinte au principe de nos libertés ! »(p.362).

« Les principes de nos libertés… », le principe de l’économie de marché libre et non entravée, qui est au fondement de l’union européenne… La science fiction d’hier dit le réel d’aujourd’hui, y penser avant de voter (ou pas) le 26 mai prochain.

Loin de l’Europe, une brève rencontre avec un futur candidat à l’élection présidentielle américaine, très favorable au revenu de base : Andrew Yang.

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3  LA GUERRE CONTRE LES GENS ORDINAIRES. LA VERITE SUR LES EMPLOIS AMERICAINS QUI SONT EN VOIE DE DISPARITION. POURQUOI LE REVENU DE BASE EST NOTRE FUTUR. (Hachette books, 2018, en anglais)

Titre et sous titre, d’emblée énoncent le projet de l’auteur. [La traduction est faite par nos soins].

Comme d’autres analystes (cf . plus haut), Andrew Yang, constate que l’automatisation, robotisation  » éliminent les revenus de centaines de milliers des américains les plus vulnérables dans diverses régions du pays » (p.10). Les « gens ordinaires » qui effectuent des tâches répétitives sont les premières victimes des mutations technologiques. Nonobstant, sans cesse, la technique remplace même les plus qualifiés.

« Nous sommes proches du moment où non seulement les caissiers,mais également les chirurgiens pourront être partiellement remplacés par l’Intelligence Artificielle. » (p.70).

Les emplois intermédiaires, tels ceux occupés par les chauffeurs routiers, sont également fort fragiles, bientôt caducs, les google trucks, sont plus fiables et surtout moins chers. La reconversion des routiers ne sera pas simple : « Les anciens camionneurs ne seront guère enthousiasmés par le nouveau boulot qui consiste à aider grand-mère à prendre son bain. »(p.74).

Si le présent immédiat est lourd de contradictions et de menaces, les richesses du possible, latentes attendent les conditions économiques de leur souhaitables émergence.

Dans une société où serait institué le Revenu universel de base, d’un montant de 1000 dollars mensuels selon Yang « Il y aurait également une fantastique expansion de peintures, de compositions musicales, de créations vidéos, de la pratique du sport,de l’écriture littéraire,… toutes ces choses que nombre d’américains n’ont pas le temps de faire aujourd’hui. Nombreux sont les gens avec une passion artistique qu’ils pourraient développer s’ils n’étaient pas obligés de travailler pour, se nourrir chaque mois. Le revenu universel de base serait peut-être le plus grand des catalyseur de créativité que nous n’avons jamais vu. » (p. 189) .

La question du revenu de base ne doit donc pas rester sur le plan strictement économique, bien au contraire il faut penser, non à une dépense charitable, mais à un investissement pour un changement de paradigme dessinant les contours d’une société où toutes et chacun pourraient être « pâtre le matin, menuisier l’après-midi, critique littéraire le soir. Sans être enfermé dans le statut de pâtre, menuisier, critique… » Selon les anticipations d’un idéologue allemand.

De l’argent pour inventer un nouvel usage du temps. L’Otium du peuple ( le loisir créatif, du citoyen impliqué) sera-t-il un jour sur l’horizon d’attente ? En attendant, on ralentit, on réfléchit et c’est pas triste. Bien au contraire.

Si vous m’avez suivi jusqu’ici, vous avez quelques loisirs, je vous remercie de votre attention.

Alain Véronèse. Mars 2019.

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Notes.

1- Par exemple : La production cybernétique, et la présentation du livre de Martin Ford, « L’avènement des machines, »

2- Pour une critique radicale du transhumanisme : « Manifeste des chimpanzés du futur », par Pièces et Main d’oeuvre (PMO), éd. Service compris, 2017. Le dernier chapitre n’est pas optimiste…

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Récapitulatif , nous avons présenté 3 livres …:

. La guerre des intelligences. Laurent Alexandre. J.C. Lattès, 2018.

. Bullshit Jobs. David Graeber. LLL, 2018.

. The war on normal people. Adrew Yang, Hachette Books, 2018.

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