Lettre à Emmanuel Macron

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Sylvie Portnoy Lanzenberg , psychanalyste de formation, a écrit dix sept ouvrages. Le dernier « Cheminer en tâchant d’être lucide » rassemble une série de chroniques publiées pour la plupart sur le blog du journal «  Le Monde « . L’auteure affirme tout au long des articles que toute société , pour être pérenne, doit être suffisamment bienveillante vis à vis de chaque personne qui la compose. De texte en texte le thème du revenu de base est souvent présent. Ce revenu d’existence, en sécurisant le parcours de chacun, pour qu’il s’épanouisse et se réalise pleinement, assurera le bien être collectif et la richesse de l’ensemble de la communauté   » C’est la fraternité qui sauvera la liberté   » V. Hugo.

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Cette lettre à E. Macron est un réquisitoire sans concession de trop d’années de casse sociale que ne fait que poursuivre le président actuel. Pour réparer notre société, pour plus de justice sociale, pour bien « faire son métier d’homme » (A. Camus) , Syvie Portnoy Lanzenberg avance cette « belle idée dont l’heure est venue « , l’idée d’un revenu de base universel et inconditionnel.

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Mardi 26 novembre 2019

Monsieur E. Macron,

A l’approche du mouvement de protestation de large ampleur prévu début décembre, vous redoutez sans doute d’être pris dans une nasse tissée de toutes les colères liées à un mal-être social partagé par beaucoup de nos concitoyens.

Vous « n’adorez pas » le mot « pénibilité » concernant le travail. Que vous disent tous ces travailleurs révoltés aujourd’hui ? Combien ce qu’ils vivent dans leur emploi est pénible : pression permanente, épuisement, perte de sens, tâches mal accomplies par faute de temps et de moyens, revenus insuffisants, fins de mois difficiles, peur de la précarité dans laquelle d’autres sont déjà tombés, burn out, etc. Que de souffrances ! Et elles ne sont pas chimériques ou exagérées comme vous le laissiez entendre récemment devant des étudiants aux prises aussi avec la précarité. Les sans-emploi souffrent, les travailleurs souffrent. Entendez la réalité de leurs plaintes. Celles des « gilets jaunes », des policiers, des pompiers, des gardiens-de prison, du corps enseignant, du personnel soignant, des agriculteurs, etc.

Vous déclarez que le travail est « émancipateur », donnant « sa place » à chacun. Dans le meilleur des cas, oui. Mais dans la réalité d’aujourd’hui, c’est une vue de l’esprit, de votre esprit. Pour les trois quarts de nos contemporains, le travail est surtout devenu source d’aliénation, de fatigue, de santé compromise, d’anxiété, de stress, d’asservissement, pas d’épanouissement, etc. Entendez leurs révoltes qui tâchent de vous ramener à la réalité !

A bout, les gens ne veulent plus être étranglés par la matérialité des choses et par la tyrannie de l’argent. De gouvernement en gouvernement, ils ont trop donné, trop espéré et attendu que leur environnement social s’améliore grâce aux politiques menées ; en vain. La soumission aux forces de l’argent a invariablement primé sur tout le reste. Leurs conditions de vie et de bien-être durant ce temps se sont dégradées. Et vous arrivez-là, plus exactement par un coup de force politique vous vous imposez dans la place à un moment d’exaspération et de découragement général que vous n’aviez pas perçu en son ampleur. Votre volonté était de remettre « en marche » dans le train de la mondialisation conduit par les puissances de l’argent ce peuple déjà si épuisé par ces même gagnants tirant profit de l’injustice. Comme l’a dit avec tant de cynisme Warren Buffet : « Il y a une lutte des classes, évidemment, mais c’est ma classe. Et nous sommes en train de gagner ».

C’est pourquoi vous pourrez toujours tâcher de mettre des rustines, de colmater les brèches avec des mesures diverses et variées, ce sera toujours vécu comme un saupoudrage insuffisant fondé sur une erreur de jugement. Dans les mentalités, le vieux bateau ultralibéral coule déjà. Que ce monde de l’argent qui détruit la vie fragile sombre définitivement est même souhaité par tous ceux qui aspirent à un nouveau départ dans un monde nouveau fondé sur les valeurs de justice et de respect.

Pendant un an on vous a laissé faire : le « bénéfice du doute » comme on dit, vous a été accordé. Mais c’est fini. On vous a vu à l’œuvre suffisamment… Votre « bougisme », votre arrogance, votre volontarisme que vous surjouez ne font plus illusion. Vous

promettiez la « Révolution », ce sont des réformes surtout à coloration libérale et essentiellement économiques que vous avez engagées, servant en premier les riches. ça n’est jamais passé, comme le Fouquet’s pour Sarkosy.

Et si les gens vous avaient pris au mot ? Par rapport à leur besoin urgent de justice sociale, de redistribution plus équitable, d’aspiration au mieux-être et à la dignité, s’ils voulaient en fait une vraie Révolution, un changement majeur par rapport au libéralisme sauvage qui les a dévasté moralement tout en dévastant la planète ? Parce que nous avons laissé l’économie capitaliste dominer depuis trop longtemps tous les secteurs de la vie, ils attendent peut-être maintenant une vraie révolution capable de changer profondément les mentalités. Arrivés à ce point d’égarement sociétal et de misère morale, nous aspirons (plus ou moins consciemment) à une évolution psychoaffective qui nous porterait à sans cesse et inlassablement déjouer nos rapports de pouvoir, source de nos violences et destructions qui rendent la vie insensée et détestable. S’il n’y a pas l’amour, la solidarité cultivée, la beauté préservée, que nous reste-t-il de la vie : les difficultés et la souffrance.

Le profit qui motive le capitalisme ne sème que des rapports de pouvoir : donc la violence. La compétition aussi. Pour se réaliser, les hommes ont besoin de fraternité ; la lutte les oppose et les déchire, déchirant conjointement le tissu social qui les tient ensemble. Pour mieux assumer leur difficile condition de vivant mortel, ils ont surtout besoin de solidarité réconfortante et encourageante libératrice par rapport à l’angoisse qui les emprisonne. Qui veut jouir de l’ivresse de la compétition n’a qu’à faire du sport, pas de la politique ni du social, ni de l’économie.

Avec notre « fixette » sur l’économie qui s’est aggravée depuis les années 80, nous attisons nos violences fratricides et nos égoïsmes sans foi ni loi. Il nous faut retrouver le chemin de la fraternité et du respect de la vie fragile, lutter contre nos guerres, déjouer nos rivalités, notre orgueil, notre volonté de toute-puissance très infantile. En d’autres termes, il nous faut grandir, sortir de l’enfance de l’humanité et retrouver le sens de la responsabilité. Vous vous êtes propulsé tout seul à la tête de l’Etat français et devez maintenant vous sentir très seul face à la violence sociale qui monte. Je ne vais pas vous plaindre : vous qui aimez les formules chocs, « vous l’avez bien cherché ». Mais comment contribuer à vous aider pour aider la France, les français, et l’humanité si mal engagée sur le chemin de son évolution?
Albert Camus d’abord peut le faire. Je le cite :
« En vérité aucun homme ne peut mourir en paix… s’il n’a pas fait ce qu’il faut pour que la condition humaine dans son ensemble soit pacifiée autant qu’il est possible. Il ne s’agit pas seulement de faire son travail quotidien et d’attendre en paix que la mort vienne un jour en se contentant de ne tuer personne directement, et en s’efforçant de mentir le moins possible. Il y a crise parce qu’il y a terreur. Et il y a terreur parce que les gens croient que rien n’a de sens, ou bien parce que seule la réussite historique en a, parce que les valeurs humaines ont été remplacées par les valeurs du mépris et de l’efficacité, la volonté de liberté par la volonté de domination. On n’a plus raison parce qu’on a la justice avec soi, on a raison parce qu’on réussit. Et plus on réussit, plus on a raison. A la limite, c’est la justification du meurtre. Et c’est pourquoi les hommes ont raison d’avoir peur, parce que dans un pareil monde, c’est toujours par hasard ou par une arbitraire bienveillance que leur vie ou celles de leurs enfants sont épargnées. Et c’est pourquoi les hommes ont raison aussi d’avoir honte parce que ceux qui vivant dans un pareil monde sans le condamner de toutes leurs forces sont, à leur manière, aussi meurtriers que les autres. Pour qu’Albert Camus soit aussi direct, lui d’habitude si nuancé, veillant toujours à considérer la complexité et à surtout ne pas être radical, il fallait qu’il soit bien en colère à force de constater que ses dénonciations de la

souffrance humaine et de notre démission à faire notre « métier d’homme » ne soient pas entendues. Et combien il a toujours raison ! La réussite vénérée en ce monde capitaliste tel qu’il a viré, c’est la justification du meurtre, de notre prochain et des espèces ! Les rapports dominant-dominés sont la cause de nos destructions. Et notre cupidité avide sans foi ni loi engendre la terreur, vidant le monde de sa beauté.

Alors, sous cet éclairage, regardons toutes les violences de notre monde contemporain. La tendance est de les aborder et de les traiter de façon éparse, une à une. Tantôt on se focalise sur la violence faite aux femmes, ou celle faite aux enfants, aux travailleurs, aux migrants, etc., alors qu’elles participent toutes d’un même environnement socio-économique violent, d’une même ambiance malade qui les attise et les entretient. Si tel homme bat sa femme qui échappe à son emprise jusqu’à la tuer parfois, peut-être est-ce parce qu’il est lui- même battu et abattu, soumis à un emploi qui réduit la plupart de ses capacités, l’aliène, l’insécurise, et qu’il déplace cette folie qu’il subit en violence agie sur ses proches femme ou enfant ?

Réparer la société française, ce pourrait être d’abord : libérer les gens de leur souffrance existentielle liée à l’emploi en faisant que le travail imposé redevienne un des moyens de se réaliser sur cette terre, de jouer au mieux sa partition de l’existence grâce à la justice et au respect. Seule la justice peut désamorcer nos colères et nos violences ; nos peurs également. Comment la recréer, dans ce monde gouverné par les rapports dominant-dominés et asservi « au dieu fric » ? Une des pistes serait d’instaurer un revenu de base pour tous et, dans un premier temps, avant que cela soit réalisable, d’indiquer ce cap éthique et cette volonté révolutionnaire afin que toutes nos forces s’orientent en ce projet prioritaire. Un tel revenu universel ne doit pas être lié au travail comme vous l’avez fait avec votre « revenu universel d’activité » : cela détourne son sens éthique et trahit la philosophie qui l’inspire. Il doit être inconditionnel, seule façon de redonner une place à chacun dans la dignité, sa valeur humaine inconditionnelle étant ainsi d’emblée reconnue dès qu’il existe, qu’il ait un emploi lucratif ou pas. Notre condition de vivant mortel aux prises avec les dualités et l’imperfection nous oblige à nous gouverner dans le sens de la justice et du respect : c’est là un travail incessant à effectuer sa vie durant, du matin au soir. Il consiste à ne pas laisser régner ses parties primaires pour mieux se comporter de façon évoluée. Une telle volonté auto-éducative d’élévation constante oblige chacun à un devoir: il consiste à se surveiller en permanence pour se reprendre sur la pente du mal d’égoïsme et d’omnipotence, s’empêchant ainsi d’être abusif, intolérant, irrespectueux, injuste, violent. A. Camus nommait cela : « faire son métier d’homme ». Pour le faire bien, quoi de mieux que cette idée d’un revenu de base, lequel est à même de nous donner un surcroît de courage et de force grâce à cette puissance de solidarité qu’il institue. Suffisamment sécurisé pour aborder le quotidien dans les meilleures conditions, chacun peut alors faire au mieux son métier d’humain. Et évidemment, cette redistribution des richesses redonnant liberté et dignité à l’individu désamorcerait la plupart de ses colères et de ses violences. Le rêve, pour vous, aujourd’hui !

Vous allez sans doute rétorquer que ces belles valeurs morales ne sont pas réalistes, impossibles sur le plan économique. Est-ce que vous avez fait l’addition de ce que coûte toute cette casse sociale et toute cette violence qui rend malade de différentes façons la plupart de nos contemporains ? Et cette immense souffrance morale à soulager en priorité ne devrait pas avoir de prix ! Elle devrait être notre premier souci, l’économie devant servir l’homme et non l’inverse.

Afin de rendre ce projet réaliste, différents montages économiques ont déjà été faits pour mesurer ce que coûterait cette mesure révolutionnaire. Je vous renvoie donc à tous ces travaux. Mais pour que vous fassiez ce pas, en premier lieu il vous faut révolutionner votre vison subjective, considérer d’autre vies que la vôtre, devenir non plus « le président des riches » mais celui de la dignité humaine retrouvée, pas celui qui sans honte a osé dire cette phrase à considérer avec le regard d’Albert Camus: « Il y a ceux qui réussissent, et ceux qui ne sont rien ». Vaste programme !

Un revenu de base pour tous est une solution, un excellent moyen de réparer les injustices qui affectent le plus grand nombre. A vous et vos équipes d’en trouver d’autres qui puissent redonner reconnaissance et dignité à la personne en la libérant de ces assujettissements qui ne sont pas une fatalité et la rendent malade, incapable aussi de faire son métier d’humain.

Ce parlé vrai vous bouscule peut-être. Je l’ai fait sciemment, par respect, en espérant toucher vos parties les plus évoluées pour qu’elles vous gouvernent mieux.

Veuillez croire, Monsieur, en ma considération distinguée.

Sylvie Portnoy Lanzenberg

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Un commentaire pour Lettre à Emmanuel Macron

  1. Quelques petites imperfections grammaticales ou syntaxique, c’est long, mais c’est bon… Peut-être me permettrais-je d’ajouter pour rester avec Albert CAMUS : « Pour certains la guerre est la fin de la solitude, pour moi, elle est la solitude définitive. »

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